Tous les ans en Février, la Fondation Abbé Pierre publie – et elle est la seule à le faire – des informations chiffrées sur le mal logement. Le gouvernement n’en publie pas au motif que ces statistiques sont incertaines, plus probablement parce qu’elles sont, année après année d’une désespérante uniformité.
100.000 personnes environ sont sans domicile fixe, près de 500.000 sont privées de logement personnel et plus de 2.000.000 habitent dans des conditions que chacun d’entre nous considèrerait comme indécentes s’il les connaissait. Pire encore depuis quelques années, ces chiffres s’aggravent. Par contraste l’industrie française du bâtiment est réputée efficace et l’effort public est considérable : près de 3.500.000 logements ont été mis en chantier entre 1998 et 2007, le parc HLM est passé de 3.900.000 logements en 1998 à 4.250.000 logements fin 2007 et globalement les dépenses de la collectivité en faveur du logement qui étaient de 29.3 milliards en 2000 ont atteint 35 milliards en 2008.
Que s’est-il donc passé et pourquoi la France qui a réussi par exemple à édifier un système de protection sanitaire et social quasi universel, laisse-t-il une frange importante de sa population hors droit en ce qui concerne un besoin aussi existentiel que celui d’être soigné : celui de bénéficier d’un « foyer » ? La lacune est d’autant plus grave que le mal logement est lui-même à l’origine de toute une série de calamités et d’exclusions : mésentente familiale, difficultés scolaires des enfants liées au confinement, voire discrimination à l’emploi liée à une mauvaise adresse ou à son absence. Le renvoi à 3 ans de l’octroi d’un logement HLM équivaut pour des milliers de familles à un bannissement social de même durée dont elles auront de la peine à se relever.
Ajoutons que cette pénurie globale d’habitations où elles sont le plus nécessaires se double d’un processus insidieux mais continu de ségrégation sociale. Les plus démunis sont rejetés par la montée inexorable du prix des terrains, à la périphérie des grandes villes, là où les services publics sont plus rares et les écoles moins performantes qu’au centre des villes. L’opinion commence à s’émouvoir, à la seule lecture des journaux, des risques que cette forme non voulue d’apartheid comporte au regard de la cohésion sociale ou seulement de la sécurité de l’ensemble des citoyens.
Il est étrange que notre République, réputée hyperactive fasse si peu de cas d’un fléau social aussi calamiteux et potentiellement explosif : la dégradation récente du Ministère du Logement en simple secrétariat d’Etat rattaché à l’immense maison Borloo n’est qu’une illustration épisodique mais significative du désistement de l’Etat. La raison en est sans doute que, si fléau il y a, il s’agit d’un fléau « de basse intensité » comme disent les militaires, dont les méfaits sont dispersés et peu visibles. Si les SDF s’invitent chaque année avec une certaine publicité à la compassion publique, les mal logés eux constituent une foule diffuse, à mi chemin entre le prolétariat et la classe moyenne sans expression sociale ni politique unifiée : on y trouve des salariés et des assistés, des jeunes sans emploi et des vieillards isolés, des mères célibataires et des familles nombreuses, les uns et les autres plus soucieux d’avancer sur les listes d’attente que de faire une révolution.
Enfin la politique du logement, politique de long terme s’il en est, n’a pas anticipé une évolution démographique et familiale sensible dans les dernières décennies : le vieillissement de la population qui engendre une sous occupation d’appartements anciens, la multiplication des séparations et des divorces qui a elle-même pour corollaire un besoin accru de logements et enfin une sous estimation des flux migratoires légaux ou clandestins.
A tout cela s’ajoute un mouvement de fond qui est la hausse continue du prix des terrains habitables, du « foncier » dans le jargon des promoteurs, un bien par définition limité donc de plus en plus recherché. Dans les zones de forte densité urbaine le jeu du marché conduit au rejet des moins fortunés vers des périphéries de plus en plus lointaines. L’habitat est au carrefour de problèmes complexes, de droit public et privé, y compris le droit sacro-saint de propriété, d’ingénierie financière, de techniques d’urbanisme et d’architecture, et d’analyse sociologique. Les décisions qui les concernent marquent pour des décennies le paysage et le peuplement d’un territoire.
C’est dire que la puissance publique et en dernier recours l’Etat lui-même doit être l’acteur principal d’une politique du logement et que son désengagement progressif au profit de décideurs locaux concurrents et mal coordonnés entre eux est en grande partie à l’origine des maux actuels.
Les maires disposent d’un arsenal juridique très élaboré qui leur permettrait de lutter avec efficacité contre la cherté des sols, en constituant des réserves foncières et en préemptant des biens immobiliers disponibles à la vente. La plupart d’entre eux ont utilisé jusqu’ici ces dispositions avec prudence pour ne pas dire avec mollesse et les préfets n’ont pas manifesté un zèle exemplaire pour se substituer à eux comme la loi leur en fait un devoir.
La marche hésitante de la loi dite de Solidarité et Renouvellement Urbain (SRUS) adoptée en 2000 et votée à nouveau en 2009 à la suite de difficiles débats parlementaires est significative de la vigueur des passions et des intérêts en jeu. Dans un article 55 devenu célèbre, la loi SRU de 2009, comme la précédente, dispose que toutes les communes d’une certaine taille doivent comporter 20% au moins de logements sociaux dans leur parc immobilier, mais dans le même souffle elle exonère les récalcitrants de cette obligation moyennant un prélèvement sur leurs ressources fiscales. Etrange République qui concède à des maires, contre argent comptant, le droit d’interdire aux pauvres de prendre pied sur leur territoire !
Le jeu du marché, on l’a vu, conduit à un étalement déraisonnable des populations urbaines à des territoires de plus en plus étendus au dépend de l’environnement naturel, mais aussi de la mixité urbaine : le maintien ou la création de quartiers sociologiquement équilibrés à l’intérieur de villes de dimension raisonnable n’est pas une utopie, mais impose une révision assez radicale des politiques menées depuis quelques décennies.
Certains exemples étrangers montrent qu’il est possible de redensifier le centre des villes sans que la qualité de vie de ses habitants en souffre. Cela suppose d’une part un effort technique de la part des architectes et des urbanistes quant à la conception et la hauteur des immeubles et d’autre part une reconquête progressive des appartements vides ou semi vides dans les quartiers anciens. Enfin – it is a dream – il est permis de suggérer aux différentes administrations qui possèdent dans les quartiers résidentiels des immeubles imposants et d’ailleurs malcommodes, de les transformer au moins pour partie en logements sociaux. : l’exemplarité de ces gestes assurément forte vaudrait bien le sacrifice financier qu’ils impliquent.
En définitive, la solution à ce problème du mal logement jusqu’ici à moitié ratée suppose, outre de considérables investissements intellectuels et financiers, quelque chose comme un supplément d’âme : renoncer au confort de l’entre soi pour accepter le voisinage de l’étranger n’est pas une mince affaire. Notre conclusion nous l’emprunterons à cette réflexion d’une femme appelée lors de la dernière réunion des Semaines Sociales à raconter son expérience d’ancienne mal logée réinsérée, avec l’aide d’une association, dans un immeuble et un quartier équilibrés : « je me suis aperçu finalement que les riches n’étaient pas plus c.. que les pauvres ». Si cette femme a dit vrai, la partie est en passe d’être gagnée.
Commentaires
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Les aides publiques au logement en France (35 milliards) représentent un % du Pib égal à 2 fois la moyenne européenne, ce qui n'est pas un signe d'efficacité de la politique nationale du logement.
L'unification du dispositif de l'aide personnalisée au logement prévue par le rapport Barre de 1975 n'est pas encore réalisée complètement. C’est une voie à explorer : ce dispositif peut être un magnifique instrument de mixité sociale, avec une enveloppe budgétaire de 14 milliards d'euros.
2ème voie : les aides fiscales ont pris une (trop) grande importance et devraient être revues (à la baisse).
3ème voie : une décentralisation raisonnée pourrait améliorer l'efficacité des aides. Pour ce faire, on pourrait mettre en place de véritables "Autorités organisatrices du logement social"(AOL° sur le modèles des transports urbains avec l'équivalent du Versement-transport : serait créé un Versement-logement (regroupant les aides à la pierre, le 1% logement...) qui serait attribué à ces AOL. Des objectifs précis seraient négociés entre l'Etat et les AOL dans le cadre de Plans locaux de l'habitat crédibles ; une évaluation externe systématique serait prévue avec sanctions à la clef ; les AOL pourraient être les nouvelles métropoles du rapport Balladur et plus largement les structures d'agglomération.
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Le foncier n'est pas un bien 'par définition limité', il est un bien artificiellement limité par les politiques de zonage. La lutte pour faire dégonfler la bulle immobilière devrait commencer par une libération du foncier.
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Bonjour, Pour ma part, je crois que la solution au mal logement passe, entre autre, par une réforme de fond de notre fiscalité.
A ce titre, j'ai publié une proposition de réforme fiscale. Si vous souhaitez la lire, elle se trouve à cette adresse:
http://simplecitoyen.blogs.midilibre.com/
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