Noureddine Boukrouh : Pour un islam du XXIe siècle… et d’après

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 4 mai, 2018
Saïd Branine et Noureddine Boukrouh / Pour un islam du XXIe siècle...et d'après (extraits)

Le problème central du monde musulman aujourd’hui est que sa religion a été figée dans une interprétation et des rites vieux de plusieurs siècles et qu’il s’est encore moins adaptés que d’autres religions à l’évolution des sociétés. Le salafisme, sacralisation de cet islam « premier », n’est qu’une manifestation extrême d’une inadaptation à son temps qui vaut aussi pour la religion enseignée à tous les musulmans. Il n’y a pas de différence substantielle entre le droit islamique professé à la célèbre université islamique Al-Azhar du Caire et celui de Daech.

C’est ce que développe l’intellectuel et homme politique algérien Noureddine Boukrouh dans le livre qu’il vient de publier avec Saïd Branine*, son intervieweur. Et c’est ce qu’il est venu expliquer, le 4 mai, devant le Club des vigilants.

Saïd Branine, Français d’origine algérienne et animateur du site oumma.com, « la première mosquée de France », a voulu ce livre pour introduire Boukrouh dans le débat français. Il insiste beaucoup sur sa grande légitimité. Noureddine Boukrouh, qui réfléchit et publie sur ces questions depuis très longtemps, est le disciple d’un autre penseur algérien lui-même très respecté, Malek Bennabi (1905-1973). Il s’est opposé politiquement avec courage au premier grand surgissement de l’islamisme politique que fut le FIS (Front Islamique du Salut) en Algérie, dans les années 1990. Enfin, sa double culture occidentale et musulmane accroît sa légitimité sur ces réflexions.

Les deux hommes, qui s’affirment croyants, plaident pour une « réforme » de l’islam qui lui éviterait les dérives terroristes et antisémites qui l’entachent aujourd’hui : « Je ne crois pas à la casuistique qui veut noyer le problème de l’islamisme en le présentant comme un phénomène de radicalisation étranger à la vraie nature de l’islam », écrit-il.  Mais leur ambition va bien au-delà. Il s’agit de permettre à tous les musulmans et aux pays musulmans de s’épanouir dans notre époque.

Nour-Eddine Boukrouh voudrait que l’islam « change de prisme et retrouve la primauté de la transcendance sur le rituel ». L’islam est la seule religion qui s’affirme « valable en tous temps et en tous lieux », sans aucune évolution ni adaptation, déplore-t-il.  Il fait une distinction essentielle entre les fondements de l’islam tels qu’ils ont été établis par le prophète Mahomet jusqu’à sa mort, en 632, et ce qu’en ont fait les religieux au VIIIe et IXe siècle. L’islam n’a pas d’autorité supérieure comparable à ce qu’est le pape pour les catholiques, mais il a des ulémas. Ce sont eux qui ont totalement figé religion, droit religieux, rites et préceptes en un tout qu’il est interdit d’amender. Pour Noureddine Boukrouh il est évident que cette transformation de la religion en une chape intellectuelle et sociale explique le déclin, à partir du XIIIe siècle, de la brillante civilisation qu’a été l’islam des débuts, dont les penseurs et les scientifiques tenaient une place essentielle dans leur époque.

L’assujettissement des peuples à une religion qui ne laisse pas de place à la rationalité et à l’esprit critique arrangeait bien les dirigeants politiques et les arrange toujours, explique l’auteur. « Les régimes politiques dits progressistes flattaient les foules pour les maintenir à l’état de masses malléables et dociles. Ils ont manipulé leur sentiment religieux et les ont préparé sans s’en douter à devenir les ouailles de l’islamisme  charlatanesque », écrit-il. Nous avions déjà eu l’occasion au Club des vigilants de parler du pacte entre religieux et pouvoir à propos de l’Arabie Saoudite, (voir  https://www.clubdesvigilants.com/alerte/quelle-la-solidite-larabie-saoudite). Paradoxalement  Noureddine Boukrouh est très agacé par les récentes mesures de libéralisation annoncées par le prince héritier saoudien (autorisation donnée aux femmes de conduire une voiture, etc.). Il en retient surtout que le pouvoir politique peut balayer d’un revers de main des mesures qui assujettissent une population depuis des décennies au nom de la religion.

Mais que penser alors de l’expression démocratique en faveur de l’islamisme ? Les victoires électorales de l’islamisme politique ont tenu une place importante dans la réflexion de Noureddine Boukrouh, notamment à partir du moment où le pouvoir algérien a interrompu le processus électoral démocratique en 1991, quand il a été évident que celui-ci allait donner le pouvoir aux islamistes du FIS. Son analyse est simple. Cette vieille religion qui a la prétention de régenter toute la société est tellement incrustée dans les esprits que les peuples y retournent comme à leur seule planche de salut connue quand l’occasion leur est fournie de donner leur opinion. D’où les victoires électorales de l’islamisme après les printemps arabes en Tunisie ou en Egypte et le recul de la laïcité en Turquie par la voie des urnes. « L’islamisme a à peine besoin de leaders ; les gens retournent spontanément à la religion ».

Les musulmans ont-ils le droit de réformer leur religion pour l’adapter à leur vie et à leur époque ? Cela  ne fait aucun doute pour cet intellectuel croyant et fin érudit qui cite le prophète lui-même. Celui-ci, qui ne tenait d’ailleurs pas à ce que ses paroles soient consignées dans un livre sacré, a dit (c’est un hadith, non une sourate du Coran) que la religion qu’il révélait avait vocation à être révisée « au début de chaque siècle ».

Comment s’y prendre ? L’auteur annonce déjà un second livre dans lequel il compte développer ses propositions.
Mais une méthode tient dores et déjà une place très importante dans sa caisse à outil intellectuelle : « remettre le Coran à l’endroit ». Le Coran tel que nous pouvons le lire aujourd’hui présente les sourates dans un ordre immuable depuis des siècles qui n’est en fait qu’un désordre chronologique. Si on remet le texte dans l’ordre où Muhammed l’a énoncé, au fil des années, il prend une logique différente.
Sa vision de la création de l’homme, par exemple devient beaucoup plus limpide et les prescriptions concernant les rites et modes de vie sont pour l’essentiel à la fin, peu avant la mort du prophète, quand il était réfugié à Médine avec les premiers croyants. Les circonstances historiques deviennent alors essentielles pour lire les prescriptions, y compris celles sur les juifs alors nombreux à Médine et dans la péninsule arabique.

Si on lisait la bible au pied de la lettre on y trouverait aussi une grande violence et des prescriptions qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui. De fait certaines sentences trouvant leur source dans les textes de l’islam (Coran ou recueils de hadith) sont tombées en désuétude. On ne coupe plus la main du voleur. Encore faudrait-il que des dirigeants politiques aient le courage d’officialiser ces adaptations ou de les imposer aux religieux.

En pratique, quelle forme pourrait prendre la réforme ? Ce n’est pas le plus simple. Noureddine Boukrouh reconnaît qu’il n’a pas beaucoup d’alliés. Notamment du côté des religieux. Dans le livre il évoque un processus forcément long. Qui devrait toucher aussi bien les chiites que les sunnites. Il pense que les révolutions arabes et l’islamisme ont mis en branle la réflexion des musulmans. Devant le Club des vigilants il rêve d’une grande conférence internationale lançant le processus. Dans son livre, il évoque le cadre possible de la Conférence des Etats Islamiques, qui existe déjà. Les Etats ou certains Etats peuvent jouer un rôle. En évitant ce qui est manifestement à ses yeux une fausse piste : la laïcité comme chercha à l’imposer par exemple la Turquie de Kemal Atatürk et de ses successeurs. Puisqu’on voit bien qu’à la première occasion le peuple revient à l’islamisme. En terre d’islam il ne faut donc pas exclure la religion du champ politique et de la vie sociale mais réformer profondément l’islam pour l’adapter au monde moderne. Noureddine Boukrouh ne doute pas qu’une fois cette réforme réalisée l’Islam étonnera le monde et même que « la réforme de l’Islam entraînera d’une façon ou d’une autre celle du judaïsme et du christianisme ».

* Islam, la dernière chance. Pourquoi, comment et que réformer dans l’islam ? Editions Entrelacs.

Saïd Branine et Noureddine Boukrouh / Pour un islam du XXIe siècle… et d’après (intégrale)
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Commentaires

Bonjour
Je pense que ces reformes n'aboutiront pas à une laïcité tels que le conçoivent les républicains français, c'est-à-dire un isolement de la pensée religieuse. D’ailleurs, même en occident cet isolement est négatif. En fait, la laïcité n'est que le prolongement d'une juste religion, si elle est respectée. Dans ce mécanisme tout pouvoir est sous tutelle d'une pensée religieuse reformée qui ne dit pas son nom.
Je suis content pour M.Boukrouh et j'espère qu'il réussira dans ce projet. En ce qui concerne le monde arabo-musulman, cela va être long. Pour plusieurs raison y compris
le manque d'esprit critique, le niveau instructif et intellectuel. L'islam tel que l'imagine M.Boukrouh est plus intelligent que la masse en question. Le schéma où se confronteront opposants et partisans se dessine de loin. Cela va donner quelque chose comme le protestantisme, mais c'est toujours un gain pour l'humanité .

Merci pour votre commentaire.
Tel que j’ai lu, entendu et compris Noureddine Boukrouh, ce n’est effectivement pas la laïcité qu’il prône comme évolution pour les pays musulmans, mais bien un islam réformé, plus adapté au monde moderne.
La question de la laïcité en France et de l’attitude des musulmans français à l’égard de la laïcité n’a pas été discutée au cours de son intervention et des échanges de questions/réponses qui ont suivi.

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