L’Europe, les Etats-Unis et le Monde selon Pascal Lamy
Le commerce avec l’Iran est important politiquement pour l’Europe, mais il représente une fraction minime de ses échanges. Imaginons ce qui se passerait si le Président Trump voulait associer de force les entreprises européennes à des sanctions contre la Chine, comme il le fait pour l’Iran après avoir décidé de sortir de l’accord sur la dénucléarisation de ce pays. La chambre de compensation Instex qui a été montée par l’Europe pour permettre de commercer avec l’Iran sans passer par le marché du dollar a été conçue pour pouvoir répondre aussi à une situation similaire sur la Chine. C’est d’ailleurs ce qui a convaincu l’Allemagne de l’intérêt de revenir à cette vieille technique démodée pour résister un peu à la prétention qu’ont les Etats-Unis, et encore plus les Etats-Unis de Trump, d’imposer leur loi au Monde.
Très sensible à cette problématique, le Club des vigilants a invité le 12 mars Pascal Lamy à faire le point sur ces tentatives de résistance à la pression américaine dont il a été un des initiateurs dans le cadre de l’association Notre Europe-Institut Jacques Delors. Collaborateur le plus proche de Jacques Delors quand il était président de la Commission, ancien Commissaire au Commerce de l’Union, puis directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), Pascal Lamy a une très grande expérience des relations internationales et reste très informé de tous ces sujets.
Si la solution de la chambre de compensation a été retenue c’est parce qu’il n’y avait pas de volonté politique d’en tenter d’autres, comme l’instauration d’un système juridique d’extraterritorialité européen pour répondre aux Etats-Unis avec les mêmes armes juridiques ou l’imposition d’une licence à toutes les banques européennes voulant travailler en Europe. Sachant qu’en plus il serait compliqué pour l’Europe d’appliquer un principe d’extraterritorialité qu’elle estime contraire au droit quand il est utilisé par les Etats-Unis. La chambre de compensation a au moins permis de « catalyser une réaction européenne », « de montrer une forme de résistance », « d’éviter de se coucher ». (Quelques jours plus tard le parlement européen n’arrivait pas à se mettre d’accord sur une résolution un peu ferme à opposer aux pressions de Trump qui exige l’ouverture des négociations commerciales transatlantiques)
La vraie solution de fond serait une augmentation du rôle international de l’euro qui offre une vraie alternative au dollar comme moyen de paiement international. Jusqu’à présent la Banque Centrale Européenne n’était pas très enthousiaste. Mais Pascal Lamy est convaincu que la BCE et le Conseil de L’Union Européenne sont en train d’évoluer sur ce sujet.
Trump
L’attitude américaine par rapport au reste du monde n’est pas nouvelle, mais Trump ne fait qu’ajouter au problème. Il a vraiment mis 18 mois à comprendre que les faibles ventes de voitures américaines en Europe ne s’expliquent pas par des barrières douanières ou réglementaires, assure ainsi Pascal Lamy.
Pour autant il reconnaît que les coups de boutoirs de l’imprévisible président américain peuvent faire bouger des choses. Le grand bras de fer de Trump avec la Chine risque ainsi d’aboutir à « pas grand-chose » dans l’immédiat pour le rééquilibrage des échanges entre les deux pays mais a le mérite d’avoir posé le problème de cette économie qui fait partie de l’OMC mais n’est pas une économie capitaliste. De même, en empêchant de fonctionner l’organe de règlement des conflits de l’OMC les Etats-Unis ont fini par mettre à l’ordre du jour une réforme de l’organisation.
Brexit
Pascal Lamy a été aussi interrogé sur les problèmes internes de l’Europe, dont il reste un ardent défenseur. Pour ce qui du Royaume Uni, qui veut être économiquement mais pas politiquement en Europe, son pronostic est qu’on aboutira à un Brexit « in name only », un Brexit formel, mais pas réel au moins pour ce qui concerne les échanges. Comme la Suisse ou la Norvège l’ancien membre aura tout intérêt à rester dans un système de normes européennes pour ne pas « épaissir » la frontière entre l’Union Européenne et le Royaume par de multiples contrôles. Elle est dans l’orbite d’un système européen de normes auquel il lui sera très difficile d’échapper. Il ne croit pas à l’hypothèse d’un Singapour aux portes de l’Europe.
Hongrie-Pologne
Pascal Lamy est manifestement partisan d’une attitude ferme à l’égard des pays de l’Europe de l’Est qui refusent d’accueillir des réfugiés. Il imagine même qu’on puisse réintroduire des contrôles aux frontières pour les citoyens hongrois ou polonais. De même il lui semble tout à fait possible de faire pression sur ces pays membres dans le cadre de la prochaine programmation financière européenne. C’est l’idée que ces pays ne peuvent pas continuer à bénéficier de la générosité des « fonds structurels » européens tout en refusant d’appliquer les principes de l’Europe (respect des règles démocratiques, accueil des réfugiés, etc.).
Commerce et environnement
C’est le sujet, complexe, auquel il aimerait consacrer un prochain livre. Les textes qui régissent l’Organisation Mondiale du Commerce ne mettent pas la liberté des échanges et leur développement au dessus de tout et notamment de la préservation de la planète et de son climat. Mais la spécialisation internationale de la production qui génère échanges et transports n’est pas toujours contraire à l’efficacité environnementale. Exemple : Il vaut sans doute mieux que l’Arabie Saoudite importe ses céréales au lieu d’essayer de les cultiver. Pour ce qui est du contenu en carbone des productions il reste convaincu que la méthode la plus efficace est de lui donner un prix pour le limiter. Mais ce prix du carbone devrait s’imputer au niveau de la consommation et non de la production pour ne pas compliquer les échanges.
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