La gravité de la crise mondiale laissera des traces profondes, et il est difficile d’imaginer que tout sera comme avant lorsque l’économie mondiale redémarrera.
Au-delà du traumatisme, et des réponses à apporter afin de remédier aux différents faits générateurs de la crise – défaillance des institutions financières, domination de l’ingénierie financière sur l’économie réelle, perte du sens des valeurs et de l’éthique de certains dirigeants… - le monde se trouvera en sortie de crise à nouveau confronté aux différentes interrogations qui prévalaient avant la crise et que les évènements récents ont eu tendance à repousser à l’arrière plan : crise de la consommation, modification de l’équilibre mondial avec la montée en puissance des économies des pays émergeants, crise d’approvisionnement en matières premières énergétiques ou en certains matériaux de base, craintes liées au réchauffement climatique.
Il est donc légitime d’imaginer que la sortie de crise pourrait être l’occasion de la poursuite, voir de l’amplification des changements du comportement des acteurs économiques et sociaux, poursuivant les tendances apparues dès avant la crise : montée en puissance des comportements respectueux de l’environnement, développement d’une industrie « verte », changement de certaines habitudes de consommation…. La baisse du marché automobile par exemple était antérieure à la crise, même si la crise a servi de révélateur. Le développement des énergies renouvelables, de l’industrie du recyclage, de la bio-consommation – étaient également en cours avant le démarrage de la crise. Ces changements de comportement sont naturellement portés par des innovations.
Dès lors il convient de s’interroger sur le rôle que l’innovation pourrait jouer afin de faciliter la sortie de crise. En d’autres termes, l’innovation peut-elle être un catalyseur de sortie de crise ? Les économies les plus innovantes tireront-elles, avant les autres, les bénéfices de la crise pour décoller plus rapidement que les autres et tirer l’économie mondiale ?
La réponse à cette question n’est pas simple.
En effet, la crise d’une part est générateur de stress et d’inquiétudes, et n’incitent pas les consommateurs à modifier leurs habitudes. D’autre part, l’innovation est par nature une activité à risque pour les entreprises, et la crise actuelle est d’abord une crise de confiance qui conduit les acteurs de l’économie, et avant tout les investisseurs à fuir le risque et à se replier sur les valeurs sûres. L’innovation incrémentale – l’innovation par petites touches ou par évolutions d’un produit ou d’un service existant – n’est pas réellement concernée par cette question. Le niveau de risque est limité, mais le bénéfice attendu ne répond pas aux interrogations en matière d’évolution des comportements ou de contenu économique du développement évoqués plus haut. Seule l’innovation radicale – ou innovation de rupture – pourrait offrir des réponses adaptées à ces attentes et faciliter ces évolutions.
L’innovation radicale a besoin de trois conditions pour se développer :
Ø Un environnement propice qui permet aux innovateurs la prise de risque, avec en contrepartie l’assurance de pouvoir bénéficier de sauvegardes en cas d’échec. Force est de constater que la crise économique rend cet environnement moins propice et risque de décourager un grand nombre d’innovateurs.
Ø Des clients prêts à consommer des produits ou des services nouveaux, en changeant de comportement, quitte à supporter les conséquences négatives de cette expérimentation : manque de fiabilité des nouveaux produits ou services, changement dans le habitudes, dépendance à l’égard d’un système en cours de mise en place avec toutes les incertitudes qui accompagnent ces développements (voir l’exemple des biocarburants dont le développement dépend largement du nombre de stations service, ou encore les difficultés de la vidéo haute définition avant l’arbitrage sur les standards qui ont conduit les producteurs de contenus pourtant indispensables, à différer leur offre). La situation de crise qui rend les comportements plus frileux, et souvent plus attentistes par aversion au risque ne plaident pas en faveur de l’inno
vation.
Ø Des ressources financières prêtes à s’investir dans des activités dont le niveau de risque est élevé, en proportion du gain potentiel attendu en cas de succès. La situation de crise de liquidités, et surtout de perte de confiance des investisseurs devrait avoir pour conséquence de freiner les investissements sur des secteurs ou des activités à risque et donc innovantes.
A l’évidence donc, le contexte de la crise n’est pas propice au développement de l’innovation radicale. Cependant, l’innovation devra constituer une des réponses à la sortie de crise, sinon les économies à peine sorties de la crise financière risquent de replonger dans la crise des approvisionnements, de ne pas apporter les réponses adaptées aux grandes questions environnementales qui préoccupent le monde, ou tout simplement de ralentir le redémarrage de l’économie par inadéquation entre l’offre et la demande.
Le soutien à l’innovation passe donc par une action déterminée des pouvoirs politiques avec comme objectif le moteur de la sortie de crise. Le constat de ce point de vue est malheureusement décevant :
Ø Le plan Obama de relance de l’économie américaine comporte certes un volet de soutien à l’innovation, notamment pour le développement des énergies propres permettant à terme une réduction de la dépendance de l’Amérique aux approvisionnements pétroliers extérieurs, mais les grandes masses du plan sont consacrées aux investissements traditionnels – routes, isolement des bâtiments, investissement dans les énergies renouvelables et à la relance par la consommation au travers des baisses d’impôts.
Ø La France a adopté un plan de relance par l’investissement, sans contenu d’innovation particulier. Il est vrai que l’effort en faveur de l’innovation et de la recherche avait été décidé avant la crise, mais on peut s’interroger sur la nécessité d’amplifier les actions de soutien à l’innovation.
Ø La Chine qui a annoncé un plan de relance de près de 1000 Milliards de Dollars, met l’accent avant tout sur les investissements en infrastructures et ne consacre qu’une fraction faible de ce montant à l’innovation.
Les politiques ont-ils raison de donner si peu de place à l’innovation dans les plans de relance ? Les politiques sont comme les investisseurs ou les consommateurs : tétanisés par la crise, ils cherchent des réponses de court terme et sans risque. L’innovation est risquée, et ses effets ne seront payés de retour que sur le moyen ou le long terme. Il s’écoule entre 3 et 10 ans entre le moment où une innovation est entreprise et le moment où la maturité de cette innovation la transforme et usine à cash générant des emplois et de la valeur ajoutée. L’innovation est peut-être la bonne réponse à la crise sur le long terme, mais les dépenses d’innovation ne constituent pas la réponse à court terme attendue par les marchés et l’opinion publique. Il est cependant plutôt positif dans ce contexte de constater que les entreprises confrontées à la crise annoncent ne pas couper dans leurs dépenses de R & D – réponse à moyen terme. Mais aucune d’entre elles n’annonce un accroissement important de ces dépenses comme réponse à la crise.
Il faudra attendre le début de sortie de crise pour mesurer vraiment les choix politiques de soutien à l’activité et observer, lorsque l’urgence de l’incendie sera pass&e
acute;e, si les responsables ont pris en compte les attentes sous-jacentes des citoyens et ajustent leurs mesures de soutien en conséquence afin de mieux ajuster le contenu de l’offre à la demande, seul moyen de relancer durablement l’économie mondiale.
Commentaires
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Je ne sais pas si l'innovation sera un catalyseur de sortie de crise si j'en juge la petite histoire suivante.
HISTOIRE D’UN ENTREPRENEUR QUI VOULAIT ENTREPRENDRE
Claude Rochet
Qu’est-ce qu’être un entrepreneur innovant par ces temps troublés ? Au-delà des discours un simple cas suffit à nous rappeler la réalité. UNIROSS était une société anglaise fabriquant des piles rechargeables, domiciliée dans un paradis fiscal, Jersey. Elle est rachetée par ses cadres, devient française, crée des emplois et paye des impôts.
Sous le leadership d’un jeune entrepreneur, elle décide de quitter son modèle d’affaire de rentier faisant fabriquer ses piles en Chine pour les vendre sur les cinq continents, pour se lancer dans la conception de systèmes complexes de gestion de l’énergie électrique : en plein dans les objectifs du développement durable du tonitruant « Grenelle de l’environnement ! ». D’une entreprise de main d’œuvre elle devient une entreprise innovante maîtrisant des technologies critiques : le CEA lui propose une société conjointe pour industrialiser sa recherche en ce domaine.
Nous avons a priori tous les éléments d’une « success story ». Las ! Notre entrepreneur ne va pas tarder à sa voir ce qu’il en coûte de vouloir quitter la rente pour l’innovation :
• Barrage de la grande distribution liée aux fabricants de piles jetables : trouver des piles rechargeables relève du parcours d’obstacles, confinées dans un hypothétique coin bricolage.
• Barrage des banques, ensuite, qui n’ont que faire de financer une PME pour quelques centaines de milliers d’euros dans les technologies critiques quand on peut gagner des milliards au casino mondial de la finance. D’autant plus que notre entrepreneur n’appartient pas aux cercles de « l’establishment » et n’est pas le « copain » d’hommes politiques puissants.
Sommé de rentrer dans le rang, notre entrepreneur n’en fait rien et prend son bâton de pèlerin.
Avec l’appui de scientifiques qui reconnaissent la validité de son projet, il rencontre administrations, cabinets ministériels et quelques personnalités politiques.
Deux camps se forment : ceux qui soutiennent le projet industriel, et les banquiers, qui n’y vont pas de mainmorte : ils font courir le bruit que notre entrepreneur serait incompétent et corrompu. L’affaire UNIROSS devient une Affaire d’Etat et divise en haut lieu selon que l’on penche du côté des banquiers ou que, la crise aidant, on redécouvre qu’un peu de politique industrielle ne ferait pas de mal et que le développement durable, loin des lamentations d’écolos, est un enjeu industriel stratégique.
Le 1° décembre le Tribunal de commerce devra se prononcer sur l’avenir de cette entreprise, jusqu’alors florissante et prometteuse, mise au régime sec par les banquiers. Tout cela sur fond de ballet d’ombres entre tribunal de commerce, banquier revanchard et fonds d’investissement français mais qui semble en fait beaucoup plus empressés de racheter l’entreprise pour un euro pour le compte… de son concurrent chinois GP Batteries !
Les enquêtes en cours feront la lumière sur ces hypothétiques malveillances, mais en attendant ?
Une chose est sûre, les 340 milliards d’euros donnés en garantie aux banques par l’Etat ne vont pas aux PME.
Le président Obama a déclaré sans ambages qu’on ne refinance pas des joueurs de casino pour faire de la politique industrielle, mais qu’on leur interdit de jouer.
Qu’attend-ton en France pour suivre ces sages conseils ?
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