La Turquie est candidate à intégrer l’UE depuis près de 30 ans (même si les négociations officielles n’ont débuté qu’il y a 10 ans) ! J’ai longtemps été partisan de cette adhésion. Mon idée était qu’une Turquie solidement amarrée à l’Europe serait un facteur de développement économique pour nous tous et, surtout, un trait d’union, donc un facteur de paix, avec un monde musulman en pleine ébullition. Si cette adhésion s’était faite il y a 10 ou 20 ans, la face de la Turquie, la nôtre et, sans doute celle du Monde, en eussent été profondément (et je le crois positivement) changées.
L’Histoire nous apprendra peut-être que nous avons laissé passer la chance d’un monde plus harmonieux. Car, aujourd’hui, tout est différent. La fenêtre s’est refermée. La Turquie est engagée dans une phase de « dé-laïquisation », voire, plus redoutable encore, d’islamisation, qui l’éloigne pour longtemps sans doute de nos valeurs. Elle glisse inexorablement vers un régime autoritaire et on doit craindre que la démocratie n’en sorte durablement abimée. M. Erdogan, fraîchement auréolé de son succès aux dernières élections, fera tout, n’en doutons pas, pour se maintenir au pouvoir. Et le peuple turc semble le suivre… De son côté, l’Europe est engagée dans une spirale auto-destructrice, fondée sur la montée des extrêmes, de l’euroscepticisme, sur l’affaiblissement de son « moteur » historique, le couple franco-allemand, au profit d’un leadership allemand contesté par les pays du Sud, à moins que ce ne soit plus simplement celui des « marchés » au détriment des peuples. La solidarité, affirmée au traité de Lisbonne comme l’une des valeurs fondatrices, a été largement mise à mal lors des dernières crises. Difficile de démêler les causes des effets, mais force est de constater que notre Union ne fait plus rêver. Elle n’est plus guère qu’un pis-aller. Dans ce contexte, la récente déclaration d’Angela Merkel à propos d’une « nouvelle dynamique » de la candidature de la Turquie, passée un peu inaperçue ici, interpelle. S’agit-il d’un marché donnant-donnant, la Turquie s’engageant à faire davantage barrage aux migrants qui déferlent sur l’Europe en contrepartie d’une relance du processus d’adhésion ? Ou d’une simple déclaration à usage strictement allemand (notamment à l’attention de la très forte minorité turque outre Rhin) destinée à redorer son blason un peu terni par ses annonces concernant l’accueil des migrants (n’a-t-elle pas récemment déclaré que l’Allemagne était prête à accueillir 800 000 migrants, provoquant le trouble jusque dans ses propres troupes) ? Il est aussi possible qu’Angela Merkel (qui y a toujours été opposée) se soit réellement convertie à l’idée de l’adhésion de la Turquie à l’UE. On peut s’interroger sur le bien-fondé de la relance de ce processus, mais, de mon point de vue, il est urgent de ne rien faire concernant cette adhésion. L’Europe a déjà fort à faire pour ne pas exploser. L’union douanière et les différents accords bilatéraux existant profitent déjà à nos deux entités. Laissons les prospérer. Une adhésion nous impliquerait bien au-delà de nos capacités et… des désirs des citoyens européens. Mais, quoi qu’en dise Céline, L’Histoire repassera peut-être le plat…
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