Pour Jacques Andréani

J’ai connu Jacques Andréani avec le groupe de travail du club sur les Etats-Unis. Ce furent deux années de travail convivial et stimulant, agrémenté par un humour parfois corrosif qui était une facette de sa lucidité. Notre travail a bénéficié de sa profonde sympathie pour la culture américaine et de sa connaissance de l’administration. Il a parfaitement décrit le caractère expansif de la politique des Etats-Unis et « le jeu combiné des facteurs de puissance » qui ont conduit à une interdépendance croissante avec le reste du monde pourtant contraire à leur vocation initiale. Il s’interrogeait sur leur supériorité éclatante et sur la difficulté à la transformer en pouvoir effectif et en résultats tangibles dans le règlement des conflits à cause notamment d’une certaine difficulté à coopérer.

Au-delà des analyses il nous a apporté le caractère irremplaçable de l’expérience, le recul par rapport aux théories et aux explications généralisées, si fréquentes sur les EU. Il nous a permis de comprendre les éléments de faiblesse et le côté hasardeux de certaines décisions. Parler avec Jacques Andréani permettait d’appréhender la fragilité intrinsèque au système international et, de là, la raison d’être des diplomates : développer et protéger la coopération. La plus grande partie de sa carrière s’est déroulée pendant la guerre froide. Il a laissé un témoignage à mon avis primordial, c’est celui sur la conférence d’Helsinki —où il dirigea la délégation française— conclue par les accords de 1975. Ce fut une démarche originale et par bien des côtés très fidèle à la tradition européenne de coopération. Entre les arrière-pensées soviétiques et le magistère américain les Européens parvinrent à mettre en place un mécanisme aux conséquences incalculables : une reconnaissance du statu quo territorial issu de la guerre, voulu par les Soviétiques, contre un renouvellement en profondeur des échanges entre Etats et des rapports humains et l’acceptation d’une certaine ingérence sur les droits de l’homme. Ce fut la « troisième corbeille ». Le Kremlin pensait s’en accommoder mais elle fut récupérée par des groupes militants et provoqua une évolution devenue irréversible en 1989. Il faut lire le livre d’Andréani (1), la finesse des observations sur ses collègues soviétiques qui, raconte-t-il, étaient obnubilés par l’obtention d’un « acte notarié » pour légitimer les frontières; on comprend mieux alors comment ce système soviétique, figé par le poids du passé, finit par être dépassé par des forces qu’il ne comprenait pas. (1) Le Piège : Helsinki et la chute du communisme, éditions Odile Jacob, 2005  

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Commentaires

Quel témoignage ! Merci pour ce partage :-) C'est très intéressant !!

Merci à Philippe Bois pour ce témoignage et pour cette restitution de l'Histoire qu'a vécue Jacques Andreani.
La relation entre la conférence d'Helsinki en 75 (et sa fameuse "troisième corbeille") et la chute de l'URSS quinze ans plus tard est en effet historique.
Les forces et faiblesses des USA sont également si bien comprises par Jacques Andreani qu'il a intitulé sa dernière conférence "les USA entre suprématie et impuissance".
Jacques était convaincu que l'Europe aux allures ingouvernables et aux positions souvent ridicules parce qu'étalant sa très faible autorité est finalement une lumière dans le monde actuel. Les chinois eux mêmes en dépit de leur nationalisme admirent l'Europe et tentent de s'en inspirer pour régler leurs énormes problèmes intérieurs avec leurs minorités.

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