LOLF : Un paradis pavé d’embûches

070628-LOLF.jpgEntrée en vigueur au 1er janvier 2006, la LOLF (loi organique relative aux lois de Finances) prévoit de structurer le budget de l’Etat selon une logique métier. Mais attention le diable se niche dans les détails. En effet, si l’idée est séduisante, sa réalisation se heurte à de nombreux écueils.

Depuis quelques mois, le secteur public bruisse d’un étrange acronyme : LOLF. Ce sigle onomatopéique désigne une discrète révolution en matière de gestion publique. Sans insister sur ce qui caractérise une loi prise en la forme organique, il s’agit tout simplement de définir les règles selon lesquelles est maintenant voté le budget de l’Etat.

A l’initiative de deux parlementaires, un socialiste et un UMP, et inspirée de l’exemple canadien, la loi part d’un constat : la dépense publique, depuis l’ordonnance de 1959, faisait l’objet d’un budget voté annuellement… mais dont la quasi-totalité était reconduite à l’identique de l’année écoulée (modulo une indexation), le débat contradictoire portant uniquement sur les dépenses inédites. C’est de là que découlaient les supposées consommations forcées de lignes budgétaires en fin d’année (« les camions qui tournent dans la cour de la caserne pour brûler le carburant ! ») pour légitimer leur reconduction d’une année sur l’autre.

Entrée en vigueur au 1er janvier 2006, la LOLF prévoit de structurer le budget de l’Etat non pas selon la traditionnelle nomenclature formelle en chapitres, articles, etc. mais, selon une logique métier, en identifiant les missions du service public, subdivisées en programmes affectés à chaque Ministère, puis en actions et sous-actions. Et ces différents niveaux d’agrégation budgétaire se voient attribuer, dans chaque projet de loi de finances (PLF), un jeu d’indicateurs de performance. Chacun de ces indicateurs est assorti d’un objectif négocié avec Bercy de manière ascendante aux différents niveaux où s’élabore la performance dans les administrations centrales et leurs services déconcentrés.

En effet, à l’organisation par directions, sous-directions, bureaux, services, etc. des administrations se superpose désormais une structure LOLF en programmes, subdivisés en budgets opérationnels de programme (BOP) puis en unités opérationnelles (UO). Un processus itératif de dialogue de gestion avec chacun de ces niveaux permet d’élaborer par agrégation, pour chaque Ministère, un projet annuel de performance (PAP), qui l’engage pour l’année, au vu de ses priorités politiques, de ses moyens financiers et humains, sur ces fameux objectifs pour chaque indicateur du PLF. En fin d’année, un rapport annuel de performance (RAP) décrit et explique le niveau d’atteinte de ces objectifs. C’est sur cette base que sera allouée la dotation budgétaire de l’année suivante.

Autrement dit, les moyens sont mis à disposition non plus à mesure de la dépense constatée, mais de la performance mesurée. Naturellement, cette performance ne traduit pas une rentabilité économique, les administrations n’étant pas des centres de profit, mais une efficacité (est-ce que je remplis effectivement ma mission de service public ?) et une efficience (est-ce que j’accomplis mon action publique au moindre coût financier et humain ?). Les responsables de programmes, de BOP ou d’UO performants peuvent légitimement se fixer des objectifs plus ambitieux et, partant, réclamer des moyens accrus en proportion.

Outre cette ambition d’objectiver l’utilité de l’action publique et de la corréler à une rationalisation de la dépense publique, ce dont nous autres contribuables et usagers ne pouvons que nous féliciter, la LOLF décale mécaniquement le terrain de jeu des responsables au sein des administrations. Le niveau de jeu de ceux qui se sont vus bombarder responsables d’un échelon LOLF s’en est trouvé haussé ; les relations de direction ont pris un caractère de relations de gouvernance. Les secrétariats généraux, qui ont fleuri ces dernières années, et les cellules de contrôle de gestion, deviennent des acteurs-clés, promoteurs de la modernisation de l’Etat au sein de leurs structures.

Un monde idéal, donc ? Bien sûr que non. L’idée est séduisante, sans ambiguïté ; qu’en est-il de sa réalisation ? Deux pierres d’achoppement compliquent la mise en œuvre de la démarche : l’organisation LOLF des Ministères et la jeu d’indicateurs de performance.

En effet, et notamment pour les administrations qui présentent un tissu déconcentré important (Défense, Intérieur, Education…) voire autonome (Justice…), identifier les bons niveaux où s’élabore et se consolide la performance et les traduire dans la chaîne UO/ BOP est délicat. Bien souvent, l’enjeu de pouvoir, d’autonomie et de visibilité qui sous-tend le fait d’être res-ponsable de BOP supplante, dans les choix en matière de structure LOLF, la pertinence au vu des réalités du métier et des missions de service public. Le nombre volontairement limité de niveaux et leur articulation pyramidale ne permettent pas toujours de refléter fidèlement les réalités de l’élaboration de la performance sur le terrain, masquant des processus spécifiques.

Quant aux indicateurs, leur logique même suppose que toute activité en matière de service public peut se transcrire de façon univoque par un jeu de valeurs chiffrées, au degré d’agrégation nécessaire et suffisant (des indicateurs trop détaillés donnent une vision parcellisée du fonctionnement ; des indicateurs trop agrégés masquent la complexité des phénomènes et empêchent d’identifier des mesures correctives appropriées), que l’on sait effectivement mesurer avec un degré de fiabilité et un rythme appropriés. Si la capacité de déploiement des troupes semble répondre à ce cahier des charges, la réduction du chômage des jeunes est déjà plus ambiguë (comment distinguer les effets du contexte économique, des évolutions sociologiques, des initiatives privées, du système éducatif, etc. de ceux du Ministère de l’emploi ?) ; quant au rayonnement culturel de la France à l’étranger, il semble pour le moins hasardeux de le réduire à un modèle numérique.

Enfin, puisque cette mesure de performance ambitionne de piloter l’opportunité et le coût de l’action publique, il importe que les valeurs particulièrement bonnes ou mauvaises des indicateurs déclenchent non pas de simples constats, excuses, félicitations ou recherche de responsables, mais des actions : détection des difficultés, identification des causes, décision, proposition de mesures correctives.

Ajoutons que le choix des indicateurs ne saurait être neutre : on sait tous que toute variable observée s’améliore ; à ce titre, le jeu d’indicateurs retenu oriente les sujets sur lesquels un effort particulier est attendu par l’échelon politique. A l’inverse, il est tentant de proposer des indicateurs dont, du fait de leur définition, une valeur satisfaisante est quasiment garantie, ce qui court-circuite la notion d’objectif ambitieux qui sous-tend la démarche. De même, ce qui n’est pas un indicateur devient vide d’enjeu et se trouve souvent négligé. Effet pervers : l’obtention d’une « bonne » valeur d’indicateur peut devenir une fin en soi en oubliant la mission de fond : j’échoue objectivement, mais le système dit le contraire, donc je suis réputé remporter un succès.

Ne nous leurrons donc pas : la mise en place de la LOLF n’est pas en soi un progrès décisif. C’est une étape d’une démarche plus vaste et nécessairement progressive. La complexité du jeu d’acteurs entre les parties prenantes est, comme tout environnement qui oscille entre coopération et concurrence, intrinsèquement fertile en matière de réflexion, d’émergence d’idées innovantes et de sélection naturelle des pratiques les plus fructueuses. A petits pas, en identifiant lucidement les fausses bonnes idées et en promouvant les bonnes avec courage, les structures LOLF et les jeux d’indicateurs vont s’affiner au fil du temps et devenir de plus en plus pertinents.

On est encore aujourd’hui en phase d’exploration des éclairages que ce nouveau prisme peut apporter sur le fonctionnement de la dépense publique (on mesure les dégâts). A mesure que l’outil d’observation s’affinera, s’opérera spontanément en parallèle l’émergence d’un processus vertueux de boucles de rétroaction sur l’action publique (on adapte l’action aux besoins de l’usager). Nous sommes peut-être à l’aube d’un mouvement de fond qui fera passer insensiblement du contrôle de la dépense au pilotage du service.

Acceptons-en l’augure…

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Commentaires

Malgré les difficultés et les écueuils évoqués par Thierry, il est évident qu'une telle orientation stratégique ne peut qu'être bénéfique sur le long terme.

Sans pour autant remettre en question les fondamentales que représente le secteur public et sa mission de service public, l'évolution extérieure (secteur privé, mondialisation, besoins fluctuants des citoyens) doit être prise en compte afin de recentrer l'administration sur sa mission.

Un exemple parmi d'autres pourrait être le secteur de la Défense qui a su se restructurer avec brio, et qui doit désormais faire face à des menaces spécifiques (terrorisme entre autres) qui n'étaient pas prioritaires lors de l'instauration de la LOLF en 1959, la guerre froide étant alors la préoccupation majeure. L'application de cette nouvelle méthode de gestion des finances devrait très certainement permettre à la Défense un meilleure adaptation à ces nouveaux enjeux.

Il en est de même pour tous les nouveaux chantiers (développement de l'administration électronique par exemple) qui touchent directement les citoyens et qui, de part leur nature, engendrent une répartition différente des moyens et des besoins.

La réforme de la LOLF est donc indispensable pour que l'administration sache évoluer et s'adapter au monde en perpétuel mouvement qui l'entoure, et l'on ne peut que féliciter cette initiative !

La mesure de la performance si elle est séduisante sur le papier pose un problème dans sa réalisation. Car comme toujours on peut faire dire n'importe quoi à un chiffre.
Un exemple que je connais bien dans l'entreprise publique qui m'emploie: le nombre d'appels à la hotline informatique.
La performance consiste à réduire ce nombre. Or depuis quelques mois il baisse. Performance? Non car il baisse du fait que le service rendu n'est plus aussi bon qu'avant et que de fait nos utilisateurs appellent moins. Il y a toujours autant d'incidents mais moins d'appels pour les signaler. Pourtant nous remplissons l'objectif qui nous est fixé!

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