L’Iran adversaire ou partenaire ? Les réponses de François Nicoullaud

La France pourrait peut-être enrôler l’Iran dans la grande coalition contre Daesh qu’elle tente de monter après les attentats du 13 novembre, mais c’est loin d’être simple. Résumée en trop peu de mots, telle est l’impression globale que laissent l’exposé de François Nicoullaud, invité du club des Vigilants, mardi 24 novembre et ses réponses aux nombreuses questions qui lui ont été posées.

 

Sur le terrain, des Iraniens se battent déjà contre Daesh, mais c’est pour soutenir le régime de Damas, alors que Paris souhaiterait le départ de Bachar el-Assad, rappelle l’ancien ambassadeur de France à Téhéran qui continue à suivre de très près les évolutions de ce pays. Ce que l’Iran veut éviter avant tout, pour sa tranquillité, c’est la « talibanisation » de la Syrie. Pour éviter cette évolution à l’afghane, il mise sur le pouvoir central syrien.

De nouvelles relations avec l’Iran sont possibles parce que l’accord sur les risques de prolifération nucléaire en Iran, conclu en juillet , ouvre la porte à la fin des sanctions contre l’Iran – sans doute au premier trimestre 2016- et à une ouverture vers l’Occident. Mais il y a deux camps à Téhéran, celui du Président Rohani, « qui a tout misé sur l’ouverture » et ses bienfaits multiples pour la population iranienne et celui des conservateurs qui se méfient de cette ouverture. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer dans ce régime autoritaire, les élections qui doivent avoir lieu en février (parlement et conseil des experts) sont très importantes et peuvent réserver des surprises. Cela s’est déjà vu.

Du côté des Occidentaux les divisions sur la conduite à tenir à l’égard de l’Iran sont moins tranchées, mais les attitudes sont pour le moins diverses. Certaines croient à l’efficacité de l’ouverture pour changer l’Iran ; d’autres craignent que la bouffée d’oxygène économique ne fasse que renforcer un Satan perse. Obama est évidemment favorable aux accords. Mais si un Républicain devait le remplacer à la tête des Etats-Unis ce pays pourrait changer d’attitude (risque tempéré par l’intérêt de l’Iran pour les entreprises américaines). En tout cas, pour que Rohani et les partisans de l’ouverture aient une chance de l’emporter il faudra savoir les soutenir plus clairement que ne le fut Mohammed Khatami, Président réformateur de 1997 à 2005, estime François Nicoullaud, en poste à Téhéran à cette époque.

La France pourrait jouer un rôle clé si elle arrive à retrouver au Moyen-Orient sa position de pays « qui parle à tout le monde », dit le diplomate. Les Iraniens sont tout prêts à aimer la France à nouveau. Leur ressentiment se concentre sur ceux qui ont eu dans le passé sur l’Iran des visées de type colonial : la Russie, la Grande Bretagne et les Etats-Unis.

Mais « parler à tout le monde » pour tenter de neutraliser Daesh et progresser vers un règlement en Syrie suppose d’arriver, in fine, à rapprocher l’Iran et l’Arabie Saoudite. « C’est une tâche immense », ne cache pas l’ambassadeur. Ces deux grandes puissances pétrolières régionales se vivent comme le champion des chiites et le champion des sunnites. François Nicoullaud n’a pas une vision très positive de nos « amis » Saoudiens. En prenant le recul de l’histoire on pourrait presque décrire ce pays comme un « Daesh qui aurait réussi ». Si on a peu entendu de manifestations de solidarité venant de là-bas après le 13 novembre c’est parce qu’une majorité de la population se sent en sympathie avec l’organisation terroriste, pense-t-il. Quand au régime lui-même, empêtré au Yemen dans une guerre qui menace de devenir pour lui ce que fut la guerre du Vietnam pour les Américains, il est loin d’être stabilisé.

Le compromis est donc « presque impossible » entre Iran et Arabie Saoudite. Et pourtant il n’y a pas de perspective de règlement régional si on n’arrive pas à rassurer les Saoudiens et plus largement les Sunnites sur la menace chiite et l’Iran, et plus largement les Chiites, sur la menace sunnite. Et ceci ne passe en aucun cas par un morcellement de la Syrie et de l’Irak en micro Etats ni aucune sorte de remise en cause des frontières qui ne ferait qu’alimenter d’innombrables conflits ultérieurs. Position classique des diplomates qui savent que dans l’Orient compliqué comme ailleurs il faut se méfier des idées trop simples.

Share

Commentaires

Merci Jean Claude pour cette brillante synthèse. Une des réalités dites en termes diplomatiques par notre invité est que les occidentaux, menés par les Etat-Unis (et, ajouterais-je, le lobby pétrolier et militaro-industriel) , ont sans doute été trop méfiants vis à vis de l'Iran et bien trop confiants dans l'Arabie Saoudite. Les attentats du 13 novembre empêchent désormais de se mentir. L'expression "Daech qui a réussi" appliquée à l'Arabie Saoudite est désormais dicible. Même par un grand diplomate.

Ajouter un commentaire