La France que nous a annoncée le nouveau président est d’une infinie tristesse : les mots-clés de son programme ont été « crise », « dette », « austérité ». Son rival ne disait guère autre chose. Mais nous apprenions, au cours de la campagne électorale, que les entreprises du luxe, en particulier LVMH et HERMES, avaient connu en 2011 des résultats record en termes de chiffre d’affaires et de croissance. Un événement significatif a retenu l’attention des médias : l’affaire Lejaby.
Des ouvrières licenciées par cette usine de textile bas de gamme ont été immédiatement embauchées pour fabriquer des sacs à main haut de gamme.
La conclusion saute aux yeux : de même que Nick Bollettieri, l’entraîneur de tennis américain, professe que pour préparer un champion mondial, il faut lui faire travailler ses coups les plus forts, de même la France connaîtra un destin économique brillant si elle investit massivement dans ses domaines d’excellence, qui relèvent tous de l’art de vivre : n°1 mondial du luxe, n°1 mondial de la haute couture, champion incontesté des vins fins, de la gastronomie, des parfums de Paris. A quoi il convient d’ajouter le tourisme, car la France est, d’ores et déjà, la première destination mondiale, source potentielle d’une considérable création d’emplois.
Seulement voilà : aucun candidat n’a inclus un tel sujet dans son programme, pas même les candidats de droite, et l’on comprend très bien pourquoi : le luxe est associé à la funeste onomatopée bling-bling, qui a de toute évidence joué un grand rôle dans l’issue du scrutin. Le luxe est attaché à la richesse, et celle-ci à l’inégalité, bête noire de la culture nationale. Aussi bien, le gouvernement sortant s’est-il montré d’une extrême, et à vrai dire coupable discrétion dans ce domaine : les palaces parisiens sont tous rachetés par des étrangers, l’enseignement technique laisse à l’abandon de nombreuses branches d’artisanat d’art, et plus personne, dans les administrations parisiennes, ne s’occupe de tourisme, domaine officiellement délégué aux collectivités locales.
La difficulté est à l’évidence d’ordre culturel. Dans l’inconscient collectif français, il est manifestement préférable de perdre de l’argent en fabriquant des tracteurs que d’en gagner avec des carrés de soie. Pourtant, si de riches étrangers, et ils se multiplient, Japonais, Chinois, Indiens, Brésiliens, Russes, etc., souhaitent dépenser leur argent dans des objets de goût, quelle honte y aurait-il à les leur offrir ? Un sursaut de bon sens et des mesures énergiques s’imposent d’urgence.
Les Vigilants serviraient leur vocation en lançant un tel appel. Outre les sources d’emplois et de profits ainsi mobilisées, l’exploitation de l’art de vivre, par contraste avec l’inquiétude ambiante, évoque beauté, plaisir, raffinement, attributs naturels de la douce France, cette terre bénie des dieux.
Claude Riveline
Professeur de gestion à MinesParisTech
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