Le manque de moyens est constamment évoqué pour expliquer les crises de la médecine française. Le système de santé a tout autant besoin d’être organisé et de fonctionner différemment pour être plus efficace et mieux correspondre aux attentes des soignants et des soignés a dit en substance notre invitée Marie-Sophie Desaulle le 9 décembre au cours d’une « matinale » du Club.
Diplômée de l’École nationale de la santé publique de Rennes, directrice d’hôpitaux, directrice d’ARS (l’agence régionale de santé Pays de la Loire), elle est aujourd’hui présidente de la FEHAP la fédération hospitalière du « privé solidaire » qui représente les établissements privés non lucratifs. Elle participe, à ce titre à de nombreuses réflexions avec les responsables politiques. Elle a aussi eu l’occasion de défendre le point de vue des usagers, notamment en tant que présidente de l’Association des paralysés de France.
Elle a organisé son propos liminaire en deux grandes parties : les facteurs qui influent sur le système de santé (attente des personnes, évolution des soignants, progrès médical) et « ce qu’on peut faire » (apporter une réponse par territoires de proximité, organiser le système de santé « par contrats plutôt que par statuts », réintroduire de la souplesse dans la gouvernance). L’enregistrement intégral des échanges sera disponible prochainement sur la chaine Youtube du Club des vigilants.
Voici quelques points forts notés par l’animateur des débats.
La crise « post-covid » avec ses départs de soignants (l’aide-soignante qui préfère devenir caissière de supermarché) n’est pas un phénomène proprement français.
Le système de santé français est sous contrainte depuis les années 90 pour éviter que ses dépenses n’explosent (regroupements, fermetures de lits, mais aussi déremboursement de médicaments « de confort »). Ceci contribue à l’impression de suradministration ressentie par les soignants (quand on veut financer en fonction de l’activité il faut bien mesurer l’activité). Néanmoins la France reste, parmi les pays européens de l’OCDE, dans le peloton de tête de ceux qui consacrent la plus grande part de leur richesse nationale à la santé (plus de 11%). Faut-il aller plus loin ? Le progrès technique y pousse avec ses médicaments « extraordinairement efficaces et extraordinairement couteux ». C’est une grande orientation qui mériterait un débat public clair, estime Marie-Sophie Desaulle.
Il y a une dégradation de l’accès aux soins, notamment pour les plus pauvres, les plus âgés, les plus handicapés (la France est plus inégalitaire que le reste de l’Europe). Pourtant il n’y a jamais eu autant de médecins en France (mais comme d’autres Français ils préfèrent travailler 50 heures que 70 et avoir une vie de famille). Les professionnels français ne sont pas extraordinairement payés (la consultation de généraliste à 25 euros se compare défavorablement aux tarifs du plombier mais aussi à celui des autres pays européens). Pour autant l’essentiel du problème ne semble pas être là. Quand l’État dépense des milliards en augmentation de salaires à l’hôpital, comme il l’a fait après le COVID, c’est très rapidement « perdu de vue ».
Pour Marie-Sophie Desaulle les maitres mots des solutions pour mieux satisfaire les besoins de la population et les aspirations des médecins sont : proximité, souplesse, confiance.
Il faut organiser les soins par « territoires de proximité », une population étant confiée à des équipes de médecins, pharmaciens, infirmiers à qui on fait « confiance » pour s’organiser avec « souplesse » dans le cadre d’une sorte de « contrat ». Le « référent santé » d’un patient pourrait être aussi bien l’infirmier ou le pharmacien que le médecin (l’exigence de contrôle du nomadisme médical et de l’accès au spécialiste ne disparaît pas). Marie-Sophie Desaulle cite comme « extraordinairement intéressante » l’expérience de la Catalogne, en Espagne, qui est passé à un système d’organisation par équipes de soins primaires. De même il faut que des équipes puissent s’organiser à l’hôpital sans que tout remonte à un lointain responsable de département ou de pôle.
L’exigence de contrôle ne disparaît pas. Il faut gérer au mieux les deniers publics. Il faut toujours qu’on puisse repérer le service ou l’établissement qui hospitalise systématiquement plusieurs jours pour une appendicite alors que les « bonnes pratiques » ne sont plus celles-là. On compte bien aujourd’hui sur les ARS pour faire le tri dans les centres dentaires ou ophtalmologiques aux pratiques discutables. On les appelle à la rescousse pour contrôler les EHPAD après le scandale ORPEA.
Pour autant il faut plus de souplesse et de confiance. Le système de santé a tenu pendant la crise COVID, souligne Marie-Sophie Desaulle, notamment grâce aux initiatives du terrain auquel l’État a été bien obligé de lâcher la bride. Mais les habitudes de contrôle vertical descendant du ministère de la santé reprennent rapidement le dessus. Or les problèmes ne sont pas les mêmes dans la région Pays de la Loire qu’en Région parisienne, ni même en Mayenne qu’en Loire Atlantique. Comment organiser des systèmes de soins innovants et faire mieux collaborer hôpital et médecine de ville si les enveloppes annuelles votées par le parlement sont réparties de manière rigide en sous-enveloppes peu communicantes ?
En somme on peut grandement atténuer l’impression d’être sans arrêt contrôlé et de loin qui exaspère les professionnels de santé. Pour autant s’il y a contrats et objectifs il faudra bien qu’il y ait évaluation, sinon contrôle. Or la culture de l’évaluation s’installe difficilement en France estime Marie-Sophie Desaulle.
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