« Si on dynamise le lien de voisinage entre habitants d’une ville on crée une richesse qu’on ne sait pas encore très bien mesurer ». Fort de cette conviction et d’une expérience de la presse régionale dont la valeur est assise sur le lien de proximité, Patrick Bernard a créé il y a trois ans dans une partie du quatorzième arrondissement de Paris « La République des Hyper Voisins ». Il est venu parler au Club des Vigilants le 29 janvier de cette expérience qui a assez vite attiré l’attention de la ville de Paris, puis de presque tous les candidats aux prochaines élections municipales*. Mounir Mahjoubi par exemple a introduit dans la campagne de En marche l’idée de structurer la proximité à Paris autour de 240 quartiers.
Lancés comme une start-up plus que comme une association, en empruntant leurs codes au fonctionnement de l’entreprise, les Hyper Voisins ont d’abord créé des évènements et cherché à se rendre sympathiques. La « table d’Aude » rassemble des centaines de personnes déjeunant côte à côte dans la rue en septembre depuis trois ans. La « garden Coty » en réunit autant au parc Montsouris, au bout de l’avenue René Coty. À plus petite échelle, des rendez-vous rituels se sont installés au bistrot du coin ou chez des voisins. L’association est déjà un relais des politiques de verdissement ou de « zéro déchets ».
Des projets plus structurants sont maintenant en marche, par exemple la création d’un « ami du quartier ».
« L’ami du quartier », tel qu’il est conçu par Patrick Bernard et ses amis pour une première expérience sur « quatre rues, 500 logements et 1 000 habitants », n’est surtout pas un concierge d’une genre nouveau. C’est un « ingénieur social » (même si sa personnalité est plus importante que ses diplômes). C’est lui par exemple qui doit faire se rencontrer les parents qui ont un problème d’accompagnement à l’école le matin et les retraités dynamiques lève-tôt qui sont prêts à organiser un « pédibus » de ramassage scolaire. Ou bien qui doit contribuer à repérer les plus fragiles et à les faire entourer. Peut-on, en cas de panne d’ascenseur, éviter d’appeler les pompiers pour remonter un invalide chez lui parce que des voisins s’en chargent ?
La ville de Paris a commencé à s’intéresser aux Hyper Voisins dans le cadre de ses interrogations sur une ville plus résiliente en cas de problème (inondation par exemple). La conviction partagée est que plus la ville est maillée plus elle est résiliente. Les Hyper Voisins organisent dans le quartier des formations aux premiers soins chez des habitants qui invitent d’autres habitants. Avec le pharmacien les Hyper Voisins ont mis a profit la vente d’une grande maison pour lancer un projet de maison de santé qui ne se contente pas d’offrir des locaux aux généralistes qui manquent dans le quartier. En coopération avec les hôpitaux du secteur l’idée est d’y assurer les premiers soins (suture de plaies par exemple) pour diminuer l’encombrement des urgences et éviter de longues attentes au voisins.
Plus généralement ils s’intéressent fortement au devenir des locaux commerciaux qui deviennent vacants. Comment pousser les propriétaires à louer à un commerçant répondant aux besoins du voisinage ? C’est une question pour toutes les municipalités.
L’approfondissement de la relation avec la ville a même permis aux Hyper Voisins de devenir les acteurs principaux du réaménagement d’une place. Après avoir consulté le voisinage (« Et toi tu ferais quoi à ma place ?»), ils ont conçu un projet avec des architectes du quartier et la ville va leur confier la gestion d’un investissement de 196 000 euros comme co-maitre d’ouvrage ! Après, ils devront contribuer à la gestion de cet espace.
Patrick Bernard a conscience que plus les projets deviennent importants plus les difficultés vont arriver. Ce sont donc de nouvelles manières de coopérer entre la ville et les citoyens qui se dessinent. Elles posent évidemment des questions, y compris de légitimité démocratique et d’ingéniosité juridique. Patrick évoque le concept de « délégation de service public citoyenne ».
Quid du financement ? Patrick Bernard est bénévole à plein temps jusqu’à présent. « On ne commence pas par aller demander des subventions ». Il a sollicité, dès le départ, avec succès, des entreprises, y compris les commerçants du quartier. Il s’interroge pour assurer le financement à terme de l’« ami du quartier » sur la possibilité d’instaurer une « contribution volontaire obligatoire », concept baroque qui a déjà été utilisé. Environ 2 euros par mois et par logement.
La bonne taille ? 1 000 habitants pour l’expérience « ami du quartier », 15 000 pour la zone d’attraction des Hyper Voisins ; Patrick estime que le bonne maille est de l’ordre de 5000 habitants. Et sa conviction est que la ville dense est le bon terrain d’expérience. Il s’agit de réveiller le villageois qui sommeille dans chaque citadin plutôt que d’organiser ou de réveiller des villages existants.
Et les réseaux sociaux dans tout ça ? Patrick Bernard a décidé de lancer cette expérience après avoir beaucoup réfléchi au lancement d’un éventuel site ou application ; il a discuté avec des réseaux existants sur le net. Et finalement les Hyper Voisins vivent très bien en s’appuyant sur les réseaux existants – un groupe Facebook notamment- et ne voient aucune urgence à créer une quelconque application.
* voir article dans Le Monde.
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