Le 11 octobre 1930, alors que la crise prenait son plein essor, Keynes a publié dans la revue The Nation and Athenaeum, un article intitulé « Perspectives économiques pour nos petits enfants ». Se focaliser sur le problème économique était, selon lui, une erreur. « Pour le regard tourné vers l’avenir, ce n’est point le problème permanent de l’espèce humaine ».
Il prévoyait que les gains de productivité seraient suffisants pour que les besoins de la population mondiale soient satisfaits. Dans cent ans, concluait-il, le problème ne sera plus la satisfaction des besoins mais l’épanouissement des personnes. « Ce seront les peuples capables de préserver l’art de vivre et de le cultiver de manière plus intense … qui seront en mesure de jouir de l’abondance le jour où elle sera là ».
Par précaution, Keynes ajoutait qu’une augmentation importante de la population mondiale pourrait changer la donne. Il n’y croyait guère mais, sur ce point, se trompait. En 1930, la planète comptait environ 2 milliards d’êtres humains ; aujourd’hui, elle en compte près de 7 milliards. Plus du triple.
La plupart des nouveaux venus sont nés dans des pays pauvres. Leurs besoins les plus élémentaires sont loin d’être couverts. Le « développement » leur paraît donc indispensable et l’épanouissement, à leurs yeux, fait presque figure de luxe. C’est compréhensible mais les menaces sur l’eau, sur l’air, sur le climat deviennent telles qu’un développement à l’occidentale, généralisé à l’ensemble du globe, est insoutenable.
Le dilemme est simple à énoncer : ou bien l’humanité parviendra, en l’espace d’une génération, à faire la distinction entre le nécessaire et le superflu; ou bien elle s’enfoncera dans le chaos. Inutile d’énumérer les catastrophes qui pourraient s’enchaîner. L’important n’est pas de recenser les impasses mais de repérer les issues.
Pour les pays riches, on peut tenter d’accompagner ou d’infléchir certaines évolutions. Les personnes, devenues les plus autonomes, cessent d’être obnubilées par la pseudo exigence d’une consommation ostentatoire. En outre, la prise de conscience écologique renforce la tendance vers la frugalité et l’accumulation des dettes rendra, de toute façon, nécessaire un passage au crible de nos besoins.
Pour les pays en fort développement, comme la Chine, il n’est pas déraisonnable de tabler sur une évolution des désirs. A partir du moment où un Homme a de quoi manger, il peut vouloir respirer autre chose que de l’air gravement pollué. D’ores et déjà, des entreprises chinoises fabriquent et exportent des panneaux solaires et autres produits destinés à verdir la croissance … des autres. A quel rythme et à quelle échelle se tourneront-elles vers les besoins internes de leur propre pays ? Il est permis d’espérer que les progrès seront rapides.
Pour les pays vraiment pauvres, il s’agit de leur donner envie de ne pas copier notre modèle. Repentance et autocritiques ne servent à rien. Il faut montrer que nous sommes capables de comprendre et même d’admirer leurs cultures et croyances. Il faut aussi, et peut-être surtout, que nous n’offrions pas le spectacle de l’idolâtrie consommatoire.
Dans ce processus d’adaptation, l’Europe peut jouer un rôle déterminant. Elle peut, sinon être un modèle, du moins être considérée comme une tentative originale et enviable de recherche du bonheur. Après tout, c’est dans ce petit espace géographique que l’art de vivre est le plus susceptible, comme le souhaitait Keynes, d’être « cultivé de manière intense ».
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