Les raisons de la colère sont presque partout les mêmes mais l’issue des révoltes arabo-musulmanes peut varier d’un pays à l’autre. Ci-dessous, quelques brèves remarques émanant de différentes sources.
Egypte (84 millions d’habitants) : les militaires qui se sont emparés du pouvoir sont pris entre quatre feux : ils veulent satisfaire la population mais entendent conserver les privilèges acquis grâce à leur main mise sur une bonne partie de l’économie ; et ils souhaitent garder la confiance des Américains tout en faisant preuve d’une plus grande méfiance à l’égard d’Israël. Leur position est ambiguë. S’ils se sentent débordés, que ce soit ou non par les Frères musulmans, leur attachement à la démocratie n’est pas tel qu’ils s’interdisent de recourir à la force.
Jordanie (6 millions) : quoiqu’il arrive, l’Egypte sera toujours l’Egypte. On ne peut pas en dire autant de la Jordanie. La population est à deux tiers palestinienne. Si le régime saute, la Jordanie disparaîtra et une Palestine naîtra. Quelques Israéliens rêvent d’une telle novation. La plupart la redoutent et comptent sur l’armée hachémite et les tribus bédouines pour soutenir le Roi.
Bahreïn (1 million) : cette petite île proche des rivages arabiques sert de mini Etat tampon entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. La Famille Al Kalifa, musulmane sunnite, y règne depuis plus de deux siècles mais aujourd’hui sept habitants sur dix sont des musulmans chiites. Ceux-ci bénéficient de quelques droits civiques mais restent considérés comme des citoyens de seconde zone. Comme ils sont au cœur de la contestation actuelle, la situation peut se transformer en quasi guerre de religion. L’Arabie Saoudite craint tellement la contagion que son armée est prête à intervenir. Les conséquences internationales seraient immenses.
Emirats Arabes Unis (5 millions) : la population est composée à 80 % d’étrangers qui ne jouissent d’aucun droit. Les « résidents » ont un permis de séjours d’un an renouvelable. Ils sont là pour des raisons essentiellement économiques et ne forment pas une entité homogène aux revendications communes. Les autochtones, eux, peuvent être « achetés » dans la mesure où les familles royales ont les moyens de distribuer des faveurs. Dans l’immédiat, elles devraient, sauf imprévu, traverser la tempête.
Arabie Saoudite (28 millions) : les sept millions d’étrangers ne semblent pas constituer une menace pour le pouvoir mais la région pétrolifère du Haza est majoritairement chiite. L’influence de l’Iran n’y est pas nulle. En cas de troubles, la famille royale, sachant que la population est peu structurée et qu’aucune équipe de rechange ne serait à même de prendre sa place, n’hésiterait sans doute pas à employer les grands moyens. Ce serait le chaos. Un chaos sanglant, comme en Libye.
Yémen (23 millions) : le conflit est exacerbé par l’opposition traditionnelle entre le Nord et le Sud qui reste profondément sécessionniste. Les structures, là aussi, sont essentiellement tribales. Le pouvoir est faible, l’opposition désunie. L’Arabie Saoudite est éventuellement prête à intervenir mais risquerait de s’y enliser.
Iran (77 millions) : le régime fait mine de croire que la révolte (qui a commencé en Tunisie puis gagné l’Egypte, etc.) a, comme force motrice, la détestation d’Israël. Cette posture lui permet d’occulter la soif de liberté de la population iranienne et d’intensifier la répression. Reste que l’Iran est un grand pays où l’éducation a fait d’immenses progrès. Ce pays, fier de son Histoire, est en quête de modernité. Et, comme les leaders de l’opposition ne contestent pas les fondements du régime, il y a une marge de manœuvre.
Turquie (78 millions) : le parti au pouvoir présente le pays comme devant servir de modèle où religion et démocratie font bon ménage. Son expansion économique lui permet d’être présent dans toute la région et ses relations, tant avec l’Iran qu’avec la Syrie, se sont intensifiées. Compte tenu de l’état anarchique où se trouve l’Irak, de l’éclipse que traverse l’Egypte et des menaces qui pèsent sur l’Arabie, une sorte de Commonwealth turco-iranien semble pouvoir se poser en héritier de feu l’Empire ottoman.
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