Pour une approche non anxiogène de la question du nucléaire

Fukushima relance le débat sur l’opportunité des centrales nucléaires. Ce débat s’était atténué, mais il était loin d’avoir disparu. Les échanges de point de vue sur le blog des Vigilants et sur d’autres, illustrent bien son acuité et sa pertinence. A mon tour d’apporter ma vision.

Le nucléaire a mal commencé : en août 1945, Harry Truman, président des Etats Unis, l’homme alors le plus puissant du monde, donne son feu vert pour lâcher une bombe atomique sur Hiroshima, puis une autre sur Nagasaki.

La controverse sur le bien fondé de cette décision restera inextinguible  pour l’éternité.

Mais très rapidement après cet épisode, les Etats se mettent en marche pour maîtriser l’industrie nucléaire et la mettre au service des besoins civils. Le mot atomique, désormais lié à la guerre, est délaissé au profit du mot nucléaire, mais ce changement sémantique ne réussit pas à convaincre l’opinion. Les antinucléaires n’auront de cesse de dénoncer les risques, selon eux apocalyptiques, de cette nouvelle industrie.

Bon gré, mal gré, l’industrie nucléaire entre dans notre vie, avec de nombreuses applications. Le débat public a lieu, mais il n’aboutit pas à un consensus satisfaisant. Les Etats décident, malgré les oppositions irréductibles et parfois violentes. Rappelons par exemple que la centrale nucléaire achevée de Lemoniz au pays basque n’a jamais été mise en service, l’ETA ayant froidement abattu son directeur qui venait d’être désigné. Les décisions « démocratiques » paraissent également « anti économiques » pour ne pas dire irrationnelles : la seule centrale nucléaire autrichienne, achevée, n’est en fin de compte pas mise en service, un référendum national l’ayant refusé au dernier moment.

Comment donc, après 66 ans d’industrie nucléaire, reprendre sereinement et rationnellement le débat ?

Il faut avant tout arrêter de mettre en avant les arguments « anxiogènes ». Le procès des méthodes anxiogènes en démocratie est en cours depuis longtemps. Même si le jugement sur ces méthodes tarde (et il tardera encore longtemps), l’opinion publique s’est d’ores et déjà sérieusement prémunie contre les tendances populistes, nationalistes, xénophobes, racistes et tutti quanti.

Dans le nucléaire, les arguments anxiogènes ont une dimension nouvelle : les conséquences des accidents sont facilement présentées comme durables quasiment à perpétuité (radioactivité à long terme), ou impossibles à prévoir (effet de l’ingestion de produits radioactifs par les corps vivants et sur leur descendance). Ceci est bien exact, et il n’est pas question de le nier.

Cependant, l’expérience de l’industrie nucléaire depuis 1945 est aujourd’hui considérable. A quelque chose malheur est bon : les accidents dans cette industrie ont systématiquement été étudiés, la réflexion a chaque fois été conduite pour réduire les risques et les conséquences de futurs accidents éventuels. Et cela va continuer, plus méthodiquement que jamais, et au niveau mondial.

Au Japon, les critères de dimensionnement des installations à risque avaient retenu un tsunami de dix mètres de haut, ce qui était déjà une hypothèse monstrueuse, et qui ne s’était jamais réalisée. Hélas, le tsunami du 11 mars 2011 faisait vingt mètres de haut : on s’est donc trompé dans les hypothèses retenues.

Les dispositifs de sûreté de la centrale de Fukushima s’en sont trouvés hors d’état d’assurer le refroidissement nécessaire, et donc d’assurer  le confinement des produits nocifs. La dissémination de ces produits va rendre inhabitable pour longtemps une zone de plusieurs dizaines de kilomètres autour de Fukushima.

Prenons du recul : cet accident, pour dommageable qu’il soit, va prendre place dans la listes des catastrophes humaines à un rang qui sera loin du premier.

La grippe espagnole, nom pudique attribué à la monstrueuse épidémie de typhus en 1919, a fait plus de morts que la première guerre mondiale qui venait de s’achever (quelques millions, sans compter les mutilés et les gazés qui ont terminé leur vie devenue horrible).

Combien de morts a fait le tsunami indonésien d’il y a quelques années ? Et combien de morts avec l’explosion du Krakatoa en 1886, dont le tsunami a fait plusieurs fois le tour de la terre ? Tchernobyl, le plus grave accident nucléaire jamais survenu, est bien loin du podium.

Les accidents de l’industrie, même s’ils font un nombre beaucoup moins important de victimes que les catastrophes naturelles, ne sont pas pour autant acceptables. Il faut que l’opinion admette un jour  qu’ils sont le prix à payer pour rendre l’industrie plus sûre.  Pas un motif pour renoncer à cette industrie, mais un motif pour revoir et améliorer les dispositifs de prévention et de sûreté. L’industrie nucléaire n’échappe pas à la règle, et ma foi, cette industrie est plutôt plus consciencieuse dans ce domaine que ne l’ont été (et le sont encore) bien d’autres industries.

Le nombre de crimes à l’arme blanche (poignard ou couteau de cuisine) reste considérable dans le monde. Faut-il pour autant interdire la fabrication des couteaux ? Certes non. Le couteau reste un outil indispensable à l’activité du genre humain. Et on a atteint la limite pour prévenir les usages condamnables de cette invention. Gageons que dans un avenir pas si lointain, l’industrie nucléaire atteindra la limite raisonnable de la sûreté. Et qu’elle ne tombera pas sous le coup du principe de précaution.

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