Tu me demandes où va la France ? Difficile de te répondre, nous ne sommes pas un peuple simple. Il y a quelques années on pouvait lire dans News Week « les français sont presque aussi importants qu’ils le croient ». Ainsi avons-nous l’impression que l’alternance du 6 mai va changer le cours de l’Europe. Mais comme nous sommes également le peuple le plus pessimiste de la terre nous n’attendons pas grand-chose du nouveau Président.
Où mon pays peut bien aller ? J’ai du mal à trouver les mots pour te le dire. D’ailleurs, nous manquons de mots. Ça ne se limite pas à la France et ça ne date pas d’hier. A la fin des années 90 Massimo d’Alema alors président du conseil italien écrivait « la réalité va plus vite que nos structures mentales ». Durant la campagne pour notre ’élection présidentielle il y a eu beaucoup de paroles de candidats. C’étaient paroles pour être élu, pas paroles pour gouverner. Du côté des citoyens il y avait un curieux décalage entre les attentes, les revendications et la perception des qualités, des compétences nécessaires pour apporter des solutions. Tout ça pour peanuts. A y regarder de près les programmes des deux principaux candidats se ressemblent à 75%. Et déjà on s’interroge : Merkozy et Merlande, blanc-bonnet et bonnet blanc ? Le flou, vois-tu n’est pas franco-français. Un mal mine le vieil Occident. Nos démocraties sont fatiguées. Elles ont poussé leur chant du coq lors de la chute de l’Union Soviétique en proclamant que le marché et la démocratie étaient devenus les horizons indépassables de l’humanité. Et puis plof. Elles ont réitéré, quoique un peu moins flambardes, en saluant l’avènement de la démocratie lors du printemps arabe. Et puis ploc.
Je sens que tu penses que je me défile à la manière des médecins de Molière « et c’est pour ça que votre fille est muette. Alors je vais me mouiller. Je vais te dire. Il y a un bug dans la démocratie. Et nous, les français, nous commençons à en prendre conscience, c’est encore flou mais ça pourrait se préciser et nous éloigner des chemins qui déchantent. La route sera longue parce que le dévoiement est ancien. Il y a plus d’un siècle, Jean Jaurès avait crû en identifier la cause en écrivant « il se crée un décalage entre ce que les hommes deviennent et l’usage que la société fait d’eux ». On n’a jamais tiré les conséquences de cette constatation. Elles seraient simples. Il faudrait faire évoluer la démocratie représentative vers une démocratie transformative. Qu’est-ce à dire ? Ne plus se limiter à voir les citoyens tels qu’ils sont mais leurs donner les moyens d’être ce qu’ils deviennent. C’est un pari gagnable. Depuis des années que je fais le sociologue, je me suis convaincu qu’il existe une ressource humaine non utilisée. Parce ce que depuis des décennies les intelligences individuelles ont crû alors que l’intelligence collective est restée en panne ; le vice de la démocratie française comme des démocraties-sœurs est qu’elles ne fabriquent plus d’intelligence collective...
So what me diras-tu ? Eh bien, je vais essayer de te le dire. Pour nous sortir de la patouille d’une campagne électorale médiocre il va nous falloir renoncer aux facilités du politiquement simpliste. D’abord, bien sûr, des populismes de droite et de gauche, tout en sachant y voir des formes de vitalité ; même dévoyées, elles sont préférables à l’apathie ou à cette nouvelle invention émouvante et puérile, l’indignation. Mais il faudra également faire notre deuil du whisfull thinking des gens sérieux : croissance, ré-industrialisation, néo protectionnisme modéré. Et ne plus prendre les vessies pour des lanternes : le plus urgent n’est pas de moraliser la politique, c’est de moraliser l’économie. Il est vain de crier haro sur les grands patrons et les banquiers ; ils ne sont que les produits d’un système devenu fou. Les slogans anticapitalistes sont des cris d’orfraie. Le capitalisme n’est pas mauvais en soi, il s’est dévoyé. On a oublié qu’au cours des trente glorieuses il avait entamé un cycle vertueux. La société de consommation triomphante a libéré la masse des gens en les faisant sortir d’une économie de survie où le plus clair de leurs temps était aliéné, limité à la recherche des moyens de satisfaire les besoins primaires, manger, se loger, se vêtir. Rien pour développer sa personnalité. Puis patatras, le premier choc pétrolier a ouvert le cycle des années criseuses dont nous ne sommes toujours pas sortis. C’est alors que les entreprises ont été gagnées par des démons, elles se sont mises à faire des bénéfices au détriment de l’humain ; employés progressivement pressurés puis licenciés ; clients harcelés, maltraités, poussés à consommer fut-ce en se pourrissant la vie par les crédits revolving. Il devait arriver ce qui arriva, les financiers inventèrent puis se repassèrent le mistigri de crédits insolvables.
Mais je sens que je commence à te casser les pieds. Faut vraiment être français pour être aussi bavard ! Alors je vais conclure à l’emporte-pièce. Il n’est pas impossible que chez nous les esprits évoluent. Ne serait-ce que pour éviter une campagne électorale encore plus terne dans cinq ans, à moins que ça ne pète avant. Pour que la relance ne soit pas une arlésienne il nous faudra moraliser l’économie et la finance. Pas par des prêches, mais en commençant à changer le système de production et en passant les termes d’une nouvelle alliance entre l’Etat et les entreprises. Fi du tout libéral. Le défaut de la France peut devenir une vertu. Notre manie centralisatrice peut enfanter un dirigisme éclairé. Il ne s’agit rien moins que d’orienter l’activité des entreprises vers la création de nouvelles richesses. Depuis peu, on fait des gorges chaudes d’une économie de la connaissance. C’est bien, mais il faut aller plus loin. Nous avons besoin des connaissances et des innovations des ingénieurs dans les technologies de la communication, des transports, des énergies. Mais ce qui fera la différence ce sont les connaissances de l’humain pour inventer les systèmes, les produits et les services qui répondent en France en Europe et bientôt ailleurs, dans le monde, à des attentes post consuméristes. Pour relancer et moraliser l’économie il nous faut créer de nouvelles richesses à base de valeur humaine ajoutée.
Si ma conclusion te semble abstruse, il ne fallait pas me poser la question
Le ciel te tienne en joie
Gérard Demuth
Sociologue
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