Voilà un livre* écrit il y a plus de vingt ans. Il traite d’un passé encore plus lointain mais, ce faisant, pose des questions d’avenir. Denis Jeambar, qui dirige actuellement les Editions du Seuil, ferait peut-être bien de le rééditer.
La thèse principale de l’auteur est que les Hommes, quand ils traversent une période de désarroi, se réfugient dans un imaginaire qui se traduit en politique par un mythe qui, quel que soit son contenu, regroupe toujours quatre éléments : la théorie du complot (des méchants conspirent ; il faut les dénoncer) ; la référence à un âge d’or (à reconstruire) ; l’appel à un sauveur prétendument capable de forger une unité, c'est-à-dire de faire prendre corps à un rêve collectif. Les exemples choisis par Raoul Girardet sont tirés de l’Histoire de France. Les « comploteurs » sont jésuites, juifs ou francs maçons, le processus est toujours identique et funeste.
Méfions-nous donc. Toujours et partout existe la tentation de prêter à des « méchants » un pouvoir qu’ils aimeraient avoir mais qu’ils n’ont pas vraiment. Exemple récent : après le 11 septembre, beaucoup d’Américains ont cru que Ben Laden, entouré de ses wahhabites dissidents, était capable de mobiliser l’Islam tout entier. Ils ont cru aussi que Ben Laden bénéficiait de la complicité de l’Irak et de l’Iran. Bush II s’est posé en sauveur. Il n’est plus président mais le mythe d’un Islam entièrement terroriste peut ressurgir. A l’inverse, les Musulmans peuvent se prendre pour des victimes, croire à un complot global et finir par se ranger sous la bannière d’un chef charismatique. Quant aux Chinois, ils ne sont pas loin d’imaginer que les pays, jadis tout puissants, se liguent pour les empêcher d’atteindre la prééminence. Leur nationalisme, du coup, deviendrait agressif.
Et n’oublions pas que, dans le monde d’aujourd’hui, les préoccupations écologiques peuvent conduire les foules à chercher des « coupables ». La quête (Oh combien nécessaire !) d’un nouveau paradigme tomberait alors entre les mains d’imposteurs. L’humanité, faute d’avoir su se réformer, trouverait de nouveaux Dieux. Et ces dieux auraient soif !
* Mythes et mythologies politiques (Raoul Girardet, Editions Seuil, 210 p. - Paris 1986)
Commentaires
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La nécessite et le rôle des "mythes" en général a toujours été pour moi un sujet d'étonnement.
A la lecture du billet de Marc Lanval, je me rappelle la lecture, récente, d'un ouvrage datant de 2003 écrit par deux scientifiques américains de l'Université de Pennsylvanie, spécialistes du cerveau (Andrew Newberg et Eugène d'Aquili) m'avait paru digne d'intérêt.
Sous le nom accrocheur de "Pourquoi 'Dieu' ne disparaîtra pas" , les auteurs ont conduit leurs recherches sur le besoin quasi physiologique de "transcendance".
Ce faisant, ils y abordent nombre de questions comme la fonction biologique des mythes, le rôle neurologique du rituel, la nature de l'extase mystique (scientifiquement avérée par leurs mesures expérimentales), l'origine du "fanatisme" et la fonction essentielle d'une dimension "religieuse" dans l'équilibre psychologue humain.
Plus précisément, pour en revenir au phénomène du mythe, qui se trouve nécessairement à la croisée des chemins du pouvoir (monde objectif) et de la croyance (monde subjectif), les auteurs démontrent que la conscience s'appuie nécessairement sur deux processus intrinsèques au mécanisme cérébral : le processus d'acquisition et de stockage d'informations issues de l'environnement de la personne, alimenté par les sens, et le processus d'abstraction dont le rôle est de faire de manière permanente des liens entre les informations instantanées et mémorisées par le processus d'origine sensorielle.
L'esprit est constitué, pour les chercheurs, par l'ensemble de ces deux processus principaux.
Le mythe apparait alors comme une construction cérébrale "nécessaire" qui s'appuie sur des besoins incoercibles et physiologiques...
Pratiquement tous les mythes religieux ou politiques, peuvent in fine se réduire à un même schéma cohérent :
1. identifier une inquiétude existentielle cruciale,
2. la formuler par rapport à une paire "d'opposés incompatibles"
3. trouver une solution qui soulage l'anxiété née de ce dilemme et permettre de vivre plus heureux dans le monde.
Comment cela se peut-il ?
Parce que les mythes structurés de cette façon, donnent du "sens" aux problèmes à l'aide des mêmes fonctions cognitives que celles sur lesquelles il s'appuie pour donner un sens fondamental au monde physique.
La nécessité du mythe est donc la même pour le monde du religieux que pour celui du pouvoir.
L’histoire nous a souvent montré (et continue d’ailleurs de le faire) que pouvoir et religion sont les deux leviers les plus efficaces de la gouvernance collective et qu’ils ne sont pas source de problèmes à la seule condition qu’ils restent fermement et définitivement séparés …
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La thèse que vous évoquez, fort pertinente, me permet de préciser (pour mon intérêt aussi bien que pour mes interlocuteurs) les différences et les similitudes entre les 4 éléments de son contenu et ceux de « la Saga d’e-zenland », un site sociétal en cours de réalisation qui prolongera l’ouvrage que je viens de publier, « le Paradigme Ariane, voyage au cœur du chaos ».
Dans la Saga :
1 / Le complot, unilatéral, est remplacé par la co-responsabilité des « maîtres du monde » et des citoyens de M.G. dont la faiblesse génère et renforce les premiers. Rapport dialectique, bilatéral.
2 / L’âge d’or (à reconstruire). Ce qui est similaire est la référence à une connaissance sinon perdue, plus précisément abandonnée par incurie. La différence est que le rapport à la connaissance demande à être perpétuellement régénéré. Cette connaissance n’appartient pas à un lointain passé, mais à une actualisation problématique. Il est précisé que le chaos est produit par une posture conflictuelle dans le présent entre le passé et le futur, par un déséquilibre dans l’investissement de ces 2 dimensions. Un passé obsolète et un futur insuffisamment pro- visionné.
3 / Le sauveur, un individu (l’élu). Ici remplacé par un collectif animé d’un sursaut. Dans la Saga, les Argonautes sont sélectionnés, choisis selon certaines compétences. Dans le cours de l’action, ils sont tour à tour leaders en fonction des circonstances et de leurs aptitudes.
4 / Cependant, faire prendre corps à un rêve collectif est similaire.
En plus :
« …les Hommes, quand ils traversent une période de désarroi, se réfugient dans un imaginaire qui se traduit en politique par un mythe … »
J’inverserai la position du sujet et de l’objet de ce texte :
Dans une période de désarroi, l’imaginaire des hommes se réfugie dans une multiplicité de mythes collectifs (ex. le foot, les nationalismes re- émergeants …) qu’il transforme en réalités consistantes qui nourrissent business, idéologies, technologies, loisirs, conflits, politiques.
Et en réalités inconsistantes, flottantes, d’aspirations vagues et changeantes (ex. de styles de consommation.)
Non pas qu’elles ne pré- existaient pas avant la période de désarroi, simplement elles sont amplifiées, exacerbées, et qu’elles font ressurgir des archaïsmes limbiques.
Le rêve collectif est une réalité constante et universelle, incontournable.
Quel que soit le jugement de valeur que l’on porte dessus.
Car c’est bien de valeurs dont il s’agit en filigrane dans ce propos.
Quelles valeurs investir dans un rêve collectif ?
C’est bien le débat de fond essentiel sur l’appréciation des courants idéologiques qui ont traversé le siècle précédent et qui aujourd’hui sont les lignes de force que le citoyen éclairé tente d’analyser, d’évaluer et éventuellement d’investir.
Proposer du rêve collectif est aujourd’hui principalement une motivation marchande ou idéologique.
Une autre motivation est-elle viable, souhaitable, fertile, utile ?
Quelle serait- elle ?
Ce que nous avons entrepris, et ce n’est pas d’hier, c’est une intention d’innover dans la mobilisation de l’intelligence collective autour d’aspirations propres à régénérer notre environnement culturel, économique, écologique, social, en un mot citoyen pour ne pas dire politique au sens premier et fondateur du terme.
Au-delà et à travers mes activités professionnelles, animées par ces valeurs, cette expérience de vie a été formalisée dans l’ouvrage cité, « le Paradigme Ariane, voyage au cœur du chaos ».
La suite de ce « voyage » se prolonge par les développements que nous lui apportons avec « la Saga d’e-zenland » qui prend la forme d’incarnation d’un « rêve collectif » qui collecte la part d’aspirations « impossibles » que nous avons rencontrées à la frontière des impasses ressenties et vécues chez nombre de mes étudiants au cours de nombreux séminaires en entreprise et entre particuliers.
« La quête (Oh combien nécessaire !) d’un nouveau paradigme tomberait alors entre les mains d’imposteurs. L’humanité, faute d’avoir su se réformer, trouverait de nouveaux Dieux. Et ces dieux auraient soif ! »
La thèse de la Quête d’un nouveau paradigme est au cœur de cette Saga. Son ambition est bien d’offrir à l’humanité quelques moyens de levier pour se réformer, car de nouveaux dieux sont déjà là et bien là ! Ils ont réellement très soif, et pas seulement de Coca. Ils sont dans le cœur des hommes, d’abord, avant de se matérialiser tangiblement.
Ambition oui, avec modestie et néanmoins détermination.
Olivier Ronceray
Innovation Socio-Économique
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