Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir en arrière : au moment de la Révolution, quand les principes de la République sont adoptés[1], les Français, et en particulier la bourgeoisie et le Tiers état, sont obnubilés par l’existence de l’aristocratie, voire par les privilèges du clergé. La question posée est celle de l’égalité des chances. Comment installer une méritocratie qui ne soit plus basée sur le sang « bleu » ? La réponse de l’époque fut de lever l’interdit lié à la filiation, socle de la noblesse.
L’époque révolutionnaire et le Premier Empire concrétiseront au moins partiellement cette nouvelle possibilité ; il suffit à ce sujet de rappeler l’origine très simple de nombre des maréchaux d’Empire. À noter cependant que la forme en fut souvent l’anoblissement des personnes méritoires plutôt qu’une disparition pure et simple des catégories prérévolutionnaires. Plus tard, le système de la sélection des fonctionnaires - en particulier par l’utilisation systématique du concours - se substituera progressivement à la notion monarchique de charge ou d’office. Il apportera un degré supplémentaire d’égalité car il ouvre l’ascension sociale à une mesure plus objective du mérite...
Mais un jour de 1964, Messieurs Bourdieu et Passeron publieront « Les Héritiers » et redistribueront les cartes : la définition de l’échelle du mérite fige en fait dès l’origine qui gagnera à l’arrivée ; et elle est entre les mains de la classe dominante qui, de plus, a toute latitude pour préparer sa progéniture à réussir les concours. Cherchez l’erreur ? L’égalité des chances est biaisée dès le départ, même si elle permet une croissance inouïe du pays.
Le problème devient dès lors comment définir l’échelle du mérite ? La société a quelque peu erré autour de ce sujet - rappelons-nous des slogans communistes : de « à chacun selon ses moyens » vers « à chacun selon ses besoins » - mais a fini par accoucher d’une solution originale : on ne poursuivra plus désormais l’égalité des chances, mais l’égalité des résultats.
Désormais, quel que soit l’individu, sa vie, ses goûts, sa couleur, son âge, son passé, etc. l’objectif de l’égalité est qu’il doit disposer, à l’instant t, de la même chose que son voisin ! En fait, la solution serait l’identité totale des situations : même salaire, même couleur d’yeux, même taille, même appartement, même costume, même voiture... Le tout probablement d’ailleurs défini par l’État : l’égalité a viré à l’égalitarisme.
En dehors de son côté utopique évident (comment imaginer que l’humanité ne serait plus composée que de clones dans un environnement lui-même cloné), de la difficulté, une fois de plus, à décider qui décidera[2], ainsi que du fait que l’ennui naquit un jour de l’uniformité... ce système ne peut conduire qu’à l’immobilisme et la stérilité.
En effet, l’amélioration de la condition des hommes - au moins matérielle - ne peut être construite que sur l’amélioration de la productivité (pour mémoire la productivité c’est faire mieux et plus avec les mêmes moyens, ou autant mais avec moins d’efforts : dans les deux cas, à effort constant, on dégage un surplus de production, ou du temps disponible pour faire autre chose, ce qui revient au même). Or ceci présuppose de faire différemment et est par construction antinomique avec l’uniformité exigée par l’égalitarisme. Évacuer la diversité, c’est donc évacuer l’innovation, la croissance et l’amélioration de la situation de l’humanité. Accessoirement, c’est évacuer la compétition, la récompense, motivations dominantes et constatées universellement de l’effort et du dépassement, qu’on le veuille ou non.
Ceci ne préjuge ni de la nature des innovations, dont certaines peuvent être bonnes et d’autres moins, ni de la répartition finale des fruits de la productivité. Tout au plus peut-on dire qu’il paraît légitime que celui qui l’a rendu possible en revendique tout ou partie. Comme le rappelait un inventeur, la création ou le talent c’est 5% d’inspiration et 95 % de transpiration et peu de personnes sont prêtes à se fatiguer plus que leurs voisins sans espérer un retour personnel, ne serait-ce que final.
Or, que constatons-nous dans notre société chaque jour : suppression des examens et des sélections, demande permanente d’alignement des situations, évacuation systématique de tous les systèmes de différentiation, suppression des évaluations (traumatisantes, pour qui ?), alignement systématique des rémunérations - antienne permanente des syndicats et d’une bonne partie de la classe politique... Nous prônons chaque jour un peu plus l’égalitarisme tout en défendant en sous-main nos rentes et privilèges, dont la suppression amènerait au moins plus d’égalité des chances, encore loin d’être acquise.
Ainsi les différences structurelles de traitement entre la fonction publique et le secteur marchand, le contraste abyssal entre un chômeur et un actif, les écarts de situation entre les élus et le peuple, les taxations confiscatoires qui entraînent l’exil des entrepreneurs... découragent ceux qui pourraient se lancer dans la recherche de la croissance et de la productivité. Pour terminer ce tableau assez sombre, il faut encore au moins évoquer le bastion de l’Éducation nationale : elle a, de fait, par égalitarisme dogmatique et par promotion permanente de ses propres privilèges et idéologies, fait régresser ces dernières années l’égalité des chances[3].
Oui à l’égalité des chances organisée... non à l’égalitarisme[4].
Notes
[1] La devise, sous sa forme actuelle ne sera officiellement adoptée qu’en 1880 ! Mais Maximilien Robespierre et Camille Desmoulins l’utilisent dès 1790.
[2] Voir Hayek, La route de la servitude et Orwell, 1984.
[3] Voir la dégringolade permanente de la France dans les classements internationaux et l’état comateux de notre apprentissage.
[4] Aucun pays au monde ayant choisi l’égalitarisme (i.e. en général le communisme) n’a atteint le niveau de richesse des pays « libéraux occidentaux » à ce jour.
Article publié dans http://www.emploi-2017.org/
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