La vertu du long terme

Rétrospectivement, on a du mal à comprendre comment, dans le monde entier, des hommes éminents ont pu se tromper si complètement sur le système soviétique. Pablo Neruda, prix Nobel et humaniste, pleura la mort de Staline en termes émouvants : « Il est un phare, une colombe ».

En termes moins lyriques, l’inspecteur des Finances Maurice Lauré expliquait doctement, dans Révolution, dernière chance de la France (PUF, 1954), que le niveau de vie soviétique atteindrait le niveau de vie français avant 1960 et qu’il lui serait supérieur d’environ un quart dès 1965. Ainsi, pendant des décennies, des milliers de livres ont prédit la fin du capitalisme. Aucun, à ma connaissance, n’a prévu le remplacement du communisme par le capitalisme.

Avec l’effondrement de l’URSS, le « sens de l’Histoire » a changé de boussole. Les « lendemains qui chantent » sont devenus capitalistes ; la finance est devenue reine.

Depuis la crise, le doute s’est installé. On a perdu toute boussole. Chacun se demande où est passé le fameux « sens de l’Histoire » et comment le retrouver.

Historiquement, deux évidences méritent d’être rappelées :

-       Les communistes ont pris le pouvoir dans un pays relativement arriéré alors que Marx avait prévu que la révolution adviendrait dans les pays développés lorsque le capitalisme aurait accompli son œuvre mondialisée.

-       Les pays développés ont su mettre en œuvre des réformes salvatrices. Les lois antitrust ont été conçues pour maintenir la concurrence. Des lois sociales ont lutté contre la paupérisation. Des classes moyennes, de plus en plus nombreuses, ont émergé.

Aujourd’hui, ces deux évidences ne sont plus ce qu’elles étaient :

-       La situation actuelle ressemble, par certains aspects, à celle qu’avait envisagée Marx. Le capitalisme est mondialisé et la paupérisation, jusqu’ici évitée en Occident, ne semble plus impossible. Les inégalités se creusent. Les classes moyennes déclinent.

-       Les lois antitrust deviennent moins efficaces lorsque la plupart des violations, au lieu d’être patentes, relèvent d’un mélange des genres, c’est-à-dire de conflits d’intérêt. La primauté de la finance y pousse, elle conduit à la cupidité.

En un mot, le capitalisme triomphant pousse le bouchon trop loin. Pour rester utile, il doit devenir vertueux. Le mot peut choquer ceux qui estiment que l’économie n’a rien à voir avec la Morale. Il n’empêche que « penser à long terme » est une forme de Morale et que la réussite à long terme repose sur, au moins, trois conditions :

-       L’innovation. Pour que les utopies d’aujourd’hui deviennent le business de demain ;

-       La réforme. Parce qu’aucune partie d’un corps social ne peut rester durablement prospère aux dépends des autres ;

-       L’adhésion des jeunes. Une jeunesse en désespoir peut être amenée à se venger. L’inflation et l’euthanasie peuvent devenir à la mode.

N’ayons pas peur du mot : Le capitalisme occidental a un urgent besoin de vertu.

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