Professeur à l’École Nationale Supérieure des Télécommunications, maintenant Telecom ParisTech, Michel Riguidel estime que l’internet tel qu’on le connaît a vécu. Le monde est, selon lui, en marche vers l’internet des objets et des êtres vivants.
Mais cette formidable mutation ne va pas sans risques. D’où, à sons sens, la nécessité d’un internet du futur qui soit plus sûr et plus durable.
L’internet d’aujourd’hui a été conçu il y a 30 ou 40 ans. Et si on l’observe de près, on se rend compte qu’il n’a pas changé d’un point de vue technique. Les protocoles, les architectures… sont toujours les mêmes et sont loin d’être neutres.
La mutation
Mais au niveau des usages, quelle mutation ! Elle a commencé au début des années 2000, grâce aux connexions à haut débit. On est passé de flux essentiellement constitués de textes à près de 75 % de flux d’images (vidéo). La toile de l'Internet se déchire depuis quelques années, distendue par les nouveaux usages et services, tirée à hue et à dia par une déferlante de nouveaux arrivants et éraflée par les cyber-délinquants qui exploitent, en toute impunité, le pseudo-anonymat du réseau. L'Internet, le réseau des réseaux, hypertrophié dans sa taille par la puissance et la performance de ses applications (les succès de Skype, eBay, Youtube, Facebook, SecondLife, Amazon), par ses tuyaux à haut débit (les interconnexions exigent des débits de 100 Gigabits par seconde, avec un trafic de 10 Exabits par mois) où s'engouffrent des contenus toujours plus volumineux, n'a pas été conçu à l'origine pour une utilisation à vaste échelle. C'est sa vertu d'avoir résisté au nouveau contexte, c'est son vice majeur de ne pas avoir su changer dans ses fondements. Or, cette tendance va s’accélérer. L’internet permettra, très prochainement, une interconnexion où les interactions avec les objets physiques et même les êtres vivants seront innombrables.
L’internet des objets d’abord : émergence des cartes sans contact et des étiquettes avec identification radio (logistique sur colis, animaux taggués), réseaux de capteurs dans la ville (caméras de fenêtrage), dans la nature (détection de feu de forêt, de séisme), et dans les entreprises (inventaire en temps réel dans les hangars, flotte mobile de capteurs dans les véhicules), réseaux à la maison, dans les voitures, robots d’assistance à la personne, télédiagnostic. Si l’Internet actuel a connecté environ 500 millions d’ordinateurs, si le téléphone portable a branché 2 milliards de personnes, l’Internet des Choses devrait brancher des milliards d’objets.
L’internet du vivant ensuite : dans les années 2025 - 2030 apparaîtra une nouvelle ère numérique, celle des Nano, Bio, Info, Cogno (NBIC), celle de l’homme qui parvient enfin à travailler à l’échelle de l’atome (les nanotechnologies), de la cellule vivante (les bio-géno-technologies), des photons (les ordinateurs quantiques). On assistera alors à un bouleversement radical de la civilisation. Les bits de l’informatique vont devoir se glisser entre les atomes et les cellules du vivant pour agencer et contrôler ce monde invisible.
L’informatique se sera alors immiscée à toutes les échelles, dans toutes les nervures de la réalité, de la nature en créant une nouvelle machine à penser, un nouveau règne, à côté du règne animal, végétal et minéral. La nouvelle informatique du 21e siècle devra ordonnancer ce monde artificiel invisible, ce monde massif ubiquitaire. Ce qui supposera l’émergence d’une informatique de l’invisible qui conférera un pouvoir immense à celui qui la maîtrisera.
On sera, en tout état de cause, très loin de l’Internet actuel avec ses 200 serveurs hyperpuissants et ses quelques autoroutes transcontinentales de l’information !
Vers un monde "virtuel" violent
Cette évolution ne sera pas sans risques. Des vulnérabilités et des menaces d’un tout autre ordre devraient surgir de ce nanomonde : guerre des Nanos, marché des cellules vivantes, guerre quantique pour casser les codes secrets des États, bref un nouvel affrontement à l’échelle de l’atome.
D’ores et déjà, la conjonction de deux phénomènes, à savoir d’une part la force de frappe des processeurs sur la friche informatique qu’est le réseau, et d’autre part l’interrelation directe qu’il y a entre les êtres vivants et les objets peut faire de l’Internet une arme de "destruction massive".
Doit-on, dans ces conditions, craindre un Hiroshima numérique, une future guerre impitoyable des réseaux ? Doit-on redouter un Tchernobyl numérique où des apprentis-sorciers provoqueraient une panne cataclysmique ? Peut-on imaginer la conjugaison d’attaques et de pannes entremêlées ?
La dépendance de l’humanité envers les fragiles édifices numériques est devenue inquiétante. Les édifices numériques sont Internet et le Web, les réseaux de télécoms, de diffusion de télévision, de constellations satellites, les systèmes d’information des entreprises, des administrations et des institutions, les systèmes informatiques critiques de contrôle des infrastructures nucléaires, électriques, routières, hospitalières, logistiques, les systèmes de contrôle-commande (alarme, climatisation des immeubles, électronique des voitures), les réseaux Wi-Fi à la maison.
Le Village virtuel violent des citoyens et des entreprises, constitue un halo intangible, une enveloppe composée de deux nuages intriqués : le nuage actif dispersé des programmes informatiques de plus en plus opaques, mobiles et devenus incontrôlables, et le nuage passif éparpillé des informations volatiles ou persistantes.
Ce cyberespace s’est réincarné en une vulnérabilité béante dans nos sociétés développées, ouvert à tous les vents agressifs ou subversifs, dans lesquels peuvent s’immiscer et se dissimuler ceux qui vivent en marge des lois de nos sociétés, et ceux qui combattent les valeurs de nos civilisations.
Le danger majeur de ce règne numérique, récemment installé aux côtés des règnes animal, végétal et minéral, dans sa complexité inextricable et dans son usage critique, résulte essentiellement, pour son volet technique, de la faiblesse architectonique des infrastructures, de l’obscurcissement du nuage des logiciels d’une part, et de l’expansion envahissante du nuage des données disséminées, d’autre part.
En effet, les logiciels sont de plus en plus obscurs : secret de fabrication oblige, cette éclipse partielle marque l’échec du mouvement des logiciels libres qui rêvait d’un monde dématérialisé, ouvert et transparent. Par ailleurs, dans un univers de compétition, la valeur d’un pays se mesure, entre autres, par la valeur de ses biens intangibles : droits de propriété intellectuelle, logiciels, bibliothèques, musées, contenus vidéo et cinéma, organisations numérisées.
Enfin, le volume des données double chaque année, croissance encouragée par la baisse du prix des supports de stockage qui diminue dans ce même rapport. Chaque individu possède en moyenne un patrimoine de dizaines de Giga-octets, masse considérable de logiciels boursouflés, d’informations fongibles, surabondantes, magma de bits pléthoriques quand on le compare aux quelques centaines de Méga-octets qui suffisent à conserver toute l’œuvre de Jean Sébastien Bach, de Victor Hugo ou aux quelques Téraoctets pour mémoriser tout le cinéma muet !
Des infrastructures plus sécurisées
La mondialisation a modifié les enjeux et de nouvelles formes d'offensives apparaissent. Avec les attentats du 11 septembre 2001, le monde a pris conscience des nouvelles formes d’agression rendues possibles. Les causes profondes des conflits ne prendraient plus racine dans des enjeux territoriaux, ni même dans la convoitise économique, mais l’origine des conflits futurs serait plutôt dans la contestation des systèmes de valeurs. Les guerres « symboliques » utilisant les technologies numériques, conduites par des petits groupes motivés, dotés de peu de ressources, prendraient une dimension inédite.
Le cyber-terrorisme n’existe pas encore. Il apparaîtra, si l’on n’y prend garde, sans doute vers la fin de la prochaine décennie, quand la convergence numérique sera établie et quand l’informatique répartie sera effective sur les réseaux.
Aujourd’hui, l’Internet est un monde complètement anonyme, où les failles de sécurité sont innombrables. Cette insécurité est intenable. Il nous faut, le plus rapidement possible, aller vers de nouveaux modèles de communication et de nouvelles infrastructures de sécurité.
Cette étoffe déchirée de l’Internet a déjà fait apparaître ses coutures, ses fils, ses ourlets : les moteurs de recherche utilisent ces fils qui nouent les pages Web avec des liens, les applications de téléchargement de fichiers en pair à pair nouent les processeurs et les disques des ordinateurs voisins en des grappes pour calculer de manière répartie. Au lieu de la traditionnelle toile maillée, les réseaux ressembleront à un milieu poreux où les lois de la perméabilité remplaceront les lois des files d'attente.
Enjeux stratégiques de la géolocalisation
Dans une collaboration internationale, il faudra imaginer une pensée intercontinentale. Les pensées du monde sont localisées, et il faut donc penser la différence, les modèles de l’altérité. Avec la mondialisation, il faudra accepter les inventions, les innovations mais aussi les détournements et les reprises d’inventions. Il faut donc chercher d’autres références et trouver des passerelles entre ces modèles, suite à l’arrivée sur la scène informatique de la Chine et de l’Inde.
Avec la mondialisation, l'ouverture de la Chine et de nouveaux arrivants sur la scène internationale, les réseaux numériques, qui sont un enjeu géostratégique, risquent de se restructurer autour de la langue, de la culture en exhibant des nouveaux modèles, des contre-modèles et des alter-modèles et évitant la solution providentielle d’un modèle unique, pseudo-universel. Les enjeux géostratégiques de la couverture de géolocalisation sont essentiels car l’infrastructure de géolocalisation permet de surveiller, de mettre les pendules à l’heure, de localiser et de cartographier. Chaque continent tente de refonder son indépendance autour de ces constellations satellites de géonavigation. Le futur cyberespace risque de se façonner autour des infrastructures de navigation et de positionnement (GPS aux États-Unis, Galileo en Europe, Glonass en Russie, Beidou en Chine). La fragmentation naturelle autour de ces nouvelles plaques continentales va créer une tectonique numérique, qui risque d’aimanter une décentralisation des réseaux autour de standards régionalisés.
De l’audace sera indispensable pour ne pas balkaniser les communications mais au contraire les faire coexister dans un immense agrégat de systèmes autonomes virtuels partageant des modèles contradictoires, sur des ressources elles-mêmes virtualisées (paquets, canaux, routes, sessions).
L’Europe, sans champions industriels, est exclue du Yalta numérique partageant le village planétaire en deux quartiers, l’Asie pour la fabrication du matériel, et l’Inde-États-Unis d’Amérique pour la fabrication et la conception du logiciel. Mais l’avenir n’est pas déterminé. Au-delà d’une vision idyllique de l’Internet du futur, pré-écrite par le marketing, comptons sur nos propres forces intellectuelles pour inverser cette tendance et inventer, dans une vision multipolaire, un Internet de demain, polymorphe. Dans cet écosystème, cohabiteront des entités nées de modèles en continuité du passé, des entités issues de contre-modèles venus d’autres continents, mais aussi nos entités informatiques propres, originaires d’alter-modèles conceptuels, compatibles avec nos valeurs démocratiques, fruits de notre culture mathématique.
Par Michel Riguidel (en collaboration avec Meriem Sidhoum Delahaye)
Commentaires
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Sans vouloir paraître trop critique, je trouve cet article peu intéressant si on le compare aux articles habituellement publiés dans le journal du club des vigilants.
Il ne fait qu'énoncer les composantes d'internet, sans vraiment se risquer à proposer une vraie "vision" d'avenir.
J'ajouterais qu'en brodant l'article de termes à la mode, futuristes, le lecteur ne peut que se sentir embobiné.
Et il aurait été bien plus intéressant de connaître, au moins, l'avis de l'auteur sur chacune des technologies citées, ou sur celles qui semblent dessiner le futur du réseau.
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