Il va sans doute falloir s’y habituer. Les lanceurs d’alerte s’imposent doucement dans le paysage judiciaire et politique français et européen. Ils ont en tout cas des défenseurs convaincus comme Eric Alt, magistrat, Vice-président de l’association Anticor (1500 membres), qui était l’invité du club des Vigilants pour une Matinale le 27 septembre 2016. Parmi les cinq axes de réflexion du club figurent en effet la nécessité de remettre l’éthique au centre du libéralisme et celle de revivifier la démocratie.
Eric Alt balaye les préventions traditionnelles que l’on a en France contre les dénonciateurs. Quant au risque d’alimenter le discours ambiant sur les « politiques tous pourris », ils sont pour lui, moins importants que les effets positifs de la lutte contre la corruption. Le « vrai problème » pour Eric Alt, ce sont plutôt tous ces élus honnêtes qui « détournent le regard » plutôt que de dénoncer la corruption et autres fraudes fiscales.
Aborder le sujet par le biais des lanceurs d’alerte amène en effet à mettre un peu dans un même sac corrompus, corrupteurs et fraudeurs puisque les affaires de lanceurs d’alerte connues concernent un peu tous les domaines et que « la fraude nourrit la corruption ».
L’exposé très documenté du magistrat (dont on pourra retrouver très prochainement l’intégrale en vidéo sur le site du Club des vigilants) a surtout permis de prendre la mesure de tout le travail en cours pour introduire en France une « culture de l’alerte », comme le souhaite le Conseil d’Etat dans un rapport publié au printemps 2016 (disponible sur son site). Les associations comme Anticor, Transparency international et Sherpa, régulièrement auditionnées, y contribuent évidemment.
Précisons au passage que, pour ces associations, les dénonciateurs ne peuvent être que désintéressés. Elles souhaiteraient seulement qu’on prévoie un système d’indemnisation pour ceux qui perdent leur emploi, par exemple, et qui sont souvent bien seuls pour se défendre.
La traduction législative la plus immédiate de cette nouvelle culture est le projet de loi dit Sapin II. Il prévoit une protection des lanceurs d’alerte contre les mesures disciplinaires (tout en rappelant ce que risquent les dénonciateurs calomnieux). Jusqu’ici c’était la jurisprudence, notamment celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui les protégeait. Sapin II astreint aussi toutes les entreprises d’une certaine taille à organiser un dispositif anti-corruption. Il « peut donc y avoir une dynamique vertueuse » estime le magistrat. Mais on est encore dans « l’entre deux » et le système est instable. Il n’est pas du tout certain, en effet, que la culture de l’alerte soit encore solidement installée dans le pays, même si Eric Alt estime que l’on peut remonter à l’affaire Dreyfus et considérer le lieutenant-colonel Picquart comme le premier lanceur d’alerte célèbre.
Pour consolider la lutte contre la corruption et la fraude, le magistrat a évoqué toute une série de mesures souhaitables, dont certaines fort techniques. Mais s’il n’y en avait qu’une à exiger du prochain Président de la République ce serait une loi consacrant l’indépendance des procureurs de la République. Celle-ci est respectée de fait par le pouvoir actuel, mais une circulaire pourrait facilement défaire ce qu’une autre a instauré. Ce n’est pas le magistrat, mais le citoyen qui parle, a-t-il assuré. Et il a rappelé que l’Italie ne s’est sortie du pourrissement de la période Berlusconi que grâce à l’indépendance de la justice.
Regardez des extraits vidéo de cette Matinale : Eric Alt et les lanceurs d'alerte, nouveaux amis de la démocratie (extraits) from Club des Vigilants on Vimeo.
Regardez l'intégrale vidéo de cette Matinale : Eric Alt et les lanceurs d'alerte, nouveaux amis de la démocratie (intégrale) from Club des Vigilants on Vimeo.
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