Pendant des semaines les media nous ont répété qu’à Alep, en Syrie, l’aviation russe et l’armée de Bachar el Assad écrasaient sous les bombes civils et combattants sans aucune distinction. Ce massacre nous a laissés sans voix, ainsi, semble-t-il, que la plupart des peuples européens. Ce silence pose question.
Il pose question sur nous-mêmes. Il pose également question sur le fonctionnement de nos démocraties. Plus aucun des relais traditionnels (intellectuels, partis, syndicats) ne s’exprime de manière audible sur ce genre de sujets. Et « la société des gens » n’a pas encore inventé de nouveaux relais.
Mentionnons quand même, pour mémoire, la mécanique habituelle de la diplomatie : le ministre des Affaires étrangères français s’est indigné et certains de ses collègues aussi ; l’ONU a tenté quelque chose, sans grande conviction ; quelques pétitions en ligne ont été signées par quelques dizaines de milliers de personnes au maximum ; et MSF et Médecins du Monde se sont indignés publiquement.
Le fait que ce genre d’organisations humanitaires soient, de plus en plus souvent, amenées à s’exprimer politiquement, au delà de leur rôle premier d’ONG qui soigne, est significatif. Elles perçoivent qu’il y a un vide à combler. Elles ne sont pas les seules. Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères britannique, a un certain instinct politique : démarche sans précédent, il a pratiquement appelé ses concitoyens à manifester devant l’ambassade russe à Londres, sans succès d’ailleurs !
On peut évidemment balayer les questions que je pose ici au nom du réalisme. Nous saurions bien que toute notre indignation ne peut rien contre le réalisme cynique d'Assad et Poutine réunis. Et ce réalisme expliquerait notre silence.
Pourtant notre société ne cesse de rendre hommage, à coup de « marches blanches », à des victimes que rien ne ressuscitera. Nous élevons des monuments aux victimes des accidents de camion. Nous attendons des hommages à chaque militaire tué dans l’exercice de son métier. Nous exigeons des célébrations en l’honneur de toutes les victimes du terrorisme. Mais nous ne nous indignons plus beaucoup – signe supplémentaire de renfermement sur nous même - de tout ce qui s’éloigne un tant soi peu de nos frontières.
À quoi bon s’inquiéter qu’on ne se manifeste pas contre ce qui se passe à Alep? En plus de l’aspect simplement moral de la question, je pense que cette difficulté à s’indigner collectivement sur Alep ou sur le sort des migrants qui se noient par milliers en Méditerranée n’est pas sans rapport avec le terrorisme. Elle n’explique évidemment pas le parcours de tous les terroristes ni le délire meurtrier de ceux qui les poussent au meurtre. Mais elle nourrit sourdement la rupture d’une partie de notre jeunesse avec la société que nous lui proposons. Qu’est ce que cette société qui non seulement ne manifeste pas son indignation, mais ne propose aucun cadre à ces jeunes pour l’exprimer ? L’alternative c’est la radicalité pure et parfois le terrorisme. Nos silences collectifs peuvent expliquer, au moins en partie, ces mystérieuses conversions de jeunes « sans problème » qui, un beau jour, partent en Syrie pour de prétendues missions humanitaires.
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