Banlieues : crise de la cité

070530-Cites.jpgLa banlieue est, historiquement en France, l’endroit où l’on était mis au ban, à une lieue de la ville. Or, ce qui fait l’esprit de la ville, selon Jacques Donzelot, spécialiste reconnu de la ville contemporaine, c’est le lien entre l’ouvert et le fermé. Ce qui le ruine, c’est le déséquilibre entre les flux et les lieux : quand les flux s’imposent au détriment des lieux comme avec la périurbanisation ; quand les lieux s’imposent au détriment des flux comme avec la relégation.

Qu’en est-il de nos banlieues ? Aujourd’hui, hélas, la réalité rejoint le sens étymologique du terme, dans notre pays, et la plupart des banlieues apparaissent, aux yeux de leurs habitants, surtout les plus jeunes, comme des lieux de bannissement. Pour trois raisons.

D’abord, on a choisi d’aménager du territoire au-delà de la ville, au lieu d’agrandir la ville. Cette spécificité française se traduit par le nombre très important – 36 000 - de communes et la petite taille de nos villes. Paris compte moins d’habitants que Rome (mais la densité y est plus grande ; Rome compte 2 547 000 habitants sur 1 285 km2 et Paris 2 150 000 habitants sur 105 km2) et quatre fois moins que Londres. Aujourd’hui, vivre à Bobigny ou à La Courneuve n’est pas habiter Paris. En Angleterre ou en Italie, Bobigny et La Courneuve seraient des quartiers de Paris. Au lieu d’agrandir les villes, nous les avons protégées par des boulevards périphériques et autres voies de contournement. Avec pour conséquence : un double enfermement. Celui de Paris derrière ces "portes" et celui des cités où les murs sont dans les têtes. Ainsi, lorsqu’un journaliste suisse de l’Hebdo de Lausanne, à l’origine du Bondy Blog, donne rendez-vous à un jeune dans un café au Quartier Latin, celui-ci l’interroge : « c’est quelle porte ? Je suis un banlieusard, moi. A Paris, c’est d’après les portes que je m’oriente !».

Ensuite, on n’a pas su non plus créer de vraies villes. Des quartiers de quatre mille logements, comme les 4 000 à La Courneuve, soit de douze à seize mille habitants, auraient pu former une ville. Au lieu de cela, par une politique de zonage irréfléchie, des friches ont été transformées en autant de « cités » d’où le moindre esprit de « cité » au sens de la « polis » grecque ou de la cité romaine est banni. « Qu’est-ce donc qu’une cité, sinon une société de citoyens ayant les mêmes droits ? » écrivait déjà Cicéron (De Republica, I, XXXII, 49). Certes, dans les années 60, il fallait parer au plus pressé : loger les milliers de rapatriés d’Algérie, éradiquer les bidonvilles... Les tours se construisaient à toute vitesse et les cités HLM connaissaient même une part de mixité, favorisée par le relatif confort des logements en comparaison des habitations de centre ville, sans hygiène ni commodités. Depuis, désertées par les derniers « blancs », elles sont devenues le lieu de relégation des minorités ethniques. Les émeutes de l’automne 2005 ont, à cet égard, mis à nu l’aberration "urbanistique" de ces cités. La crise de l’"urbain" dans ces banlieues est telle que l’on peut trouver plus d’urbanité dans certains camps de réfugiés à Gaza. Peut-on, d’ailleurs, parler d’urbain dans le cas de ces quartiers fermés mais non clos, dépourvus de toute image symbolique, où l’espace dit urbain, loin de former un espace interne à la cité, n’est plus que le vide extérieur aux barres ? Comment rêver le monde dans ces conditions ? Quand le lieu où l’on vit n’est pas habitable parce qu’il ne dit rien du monde ?

Enfin, l’aménagement du territoire a été conçu, non pour desservir ces quartiers mais pour les contourner. Ainsi, même si physiquement l’autoroute et le RER desservent Bobigny, ces voies contournent symboliquement les cités de Bobigny. C’est le cas à la périphérie de la plupart de nos villes. On assiste à une véritable logique de séparation. Vaincre cette logique de séparation est, à cet égard, un enjeu social majeur. N’oublions pas que les Romains firent de même aux 2eme et 3eme siècles en enfermant hors des villes les armées de mercenaires dans des camps : ils apprirent à leurs dépens que les mercenaires barbares pouvaient descendre sur Rome et renverser les empereurs. Les murailles d’Aurélien n’y firent rien.

Benoît Peaucelle, Vice président de la Société Française des Architectes

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