Effondrement démographique : le Japon, source d’enseignements ?

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 4 octobre, 2024

Dans le domaine de la démographie, qui est un des facteurs actuels et futurs de déstabilisation des pays dits « développés », le Japon peut-il être un précurseur, pour ne pas dire un exemple ?

Sa situation - déclin démographique rapide et vieillissement de la population entrainant une pyramide des âges inquiétante - est-elle transposable aux pays européens, et notamment à la France ?

De passage en France, Seiichi Kitayama, sociologue, historien, professeur émérite à l’Université Rikkyo (Saint-Paul’s) de Tokyo est venu partager avec nous ses convictions face à une situation qu’il juge dramatique, lors d’une matinale du Club le 4 octobre dernier.
En guise d’introduction, il pose cette question : « Est-il trop tard pour réagir ? »

 

Quelques éléments chiffrés traduisant cette situation

Dès 1974, le taux de remplacement de la population japonaise n’a plus été assuré (indice de fécondité inférieur à 2), la décroissance effective de la population n’intervenant qu’à partir de 2005, grâce à l’allongement de la durée de vie.

Depuis cette date, le déclin démographique s’accentue, la diminution annuelle, actuellement supérieure à 500 000 habitants, pouvant approcher des 800 000 en 2040 selon les prévisions fournies par S.Kitayama.
Après un pic à 128 millions d’habitants, la population totale, de 123 millions en 2024, pourrait passer sous la barre des 100 millions en 2056 pour tomber à 87 millions en 2070.

La part des jeunes de moins de 15 ans serait inférieure à 10% de la population totale en 2030, tandis que celle des personnes âgées de plus de 65 ans dépasserait 30%.

En 2023, l’indice de fécondité au Japon est de 1,2 (à comparer à celui de la France : 1,68 et au plus faible du monde, celui de la Corée du Sud : 0,72)

Cette diminution n’affecte pas les grandes villes, qui continuent de croître. Mais les petites villes et les villages se vident peu à peu, et les terres cultivées disparaissent progressivement.

 

Les raisons expliquant ce déclin démographique

Pour Seiichi Kitayama, les raisons sont plus sociétales que financières, même si ces dernières, et notamment la faiblesse des salaires, sont souvent invoquées par les jeunes japonais.
Les principales raisons tiennent au recul de l’âge au mariage et donc à la maternité, voire à l’absence de mariage.
Le Japon reste une société fondamentalement traditionnelle, où l’unité familiale passe avant tout le reste et où la liberté individuelle est réduite.
Il semble que, sur ce plan, les hommes japonais soient plus conservateurs que les femmes et que celles-ci soient de moins en moins attirées par le mariage.
Leur aspiration à une carrière professionnelle est difficilement compatible avec la vie familiale et l’éducation d’enfants : peu de congés et ceux-ci sont mal vus, salaires très inférieurs à ceux des hommes, une majorité d’emplois précaires, manque de structures d’accueil des jeunes enfants.

Or, au Japon, très peu d’enfants naissent hors mariage (environ 63% des naissances en France en 2023), ce qui tient à la situation extrêmement défavorable qui leur est réservée. Les couples cohabitant sans être mariés n’ont aucun statut légal, et les pères ne peuvent reconnaitre leurs enfants, qui doivent être déclarés comme illégitimes et, sauf dérogation, ne peuvent pas bénéficier des mêmes aides sociales que les autres.

En outre, lors du mariage, les deux époux doivent opter pour un nom de famille commun. L’un des deux devra donc abandonner son patronyme d’origine, le plus souvent l’épouse, l’inverse étant humiliant pour le mari. Ce choix du nom est un sujet clivant, mais il semble que tous les projets de réforme successifs aient été rejetés par une majorité conservatrice.
Notons que le Japon fait figure de mauvais élève en matière de parité et que la politique y reste réservée aux hommes (90% d’hommes actuellement à la Chambre basse du Parlement)

Tous ces éléments peuvent expliquer, d’une part le peu d’attirance des femmes japonaises pour le mariage, mais également la difficulté de vivre en couple sans passer par le mariage, et donc la chute des naissances.
Le mariage obligatoire est pour Seiichi Kitayama le principal frein à la natalité. Par ailleurs il y a chez les femmes japonaises une attente qui n’est satisfaite, ni par le système conservateur et patriarcal actuel, ni par les solutions envisagées.

 

Des pistes pour enrayer le déclin ?

Actuellement, le déclin de la population active est partiellement compensé par une contribution accrue des femmes (en 2022, 74% des femmes de 15 à 64 ans travaillent) et des personnes âgées.
Il est question de repousser l’âge de la retraite à 70 ans, et le montant des retraites est constamment mis en balance, à budget équivalent, avec une priorité financière accordée aux jeunes générations.
Concernant l’appel à une main-d’œuvre immigrée, Seiichi Kitayama semble considérer que le débat a été tranché dans les années 80, et que l’exemple des pays européens et des difficultés d’intégration rencontrées ait été dissuasif.
Pour Seiichi Kitayama, l’opinion publique y est majoritairement défavorable à l’heure actuelle pour des raisons de cohésion nationale, en dépit des besoins de l’économie japonaise.

Pour enrayer la chute de la natalité, la seule réponse apportée est financière et vise à favoriser le mariage, solution qui parait cependant inefficace tant que la société japonaise reste figée dans ses traditions, incompatibles avec les avancées récentes des femmes japonaises et leurs aspirations.
La question démographique est préoccupante certes, mais sans solution et, semble-t-il, sans véritable débat. Elle apparait moins prioritaire pour les Japonais que les questions de sécurité nationale et de défense.

Pour conclure sur une note moins pessimiste, Seiichi Kitayama nous dit qu’il y a encore une certaine « douceur de vivre », au moins apparente, dans ce Japon attaché à son passé et à ses traditions. Il évoque le dilemme entre une rupture sociétale à la fois souhaitable et indispensable à la survie économique du pays, et le risque de perte de cette « douceur de vivre » que ferait courir une telle rupture.

 

 

 

 

 

 

 

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