Ouf. Emmanuel Macron a été convenablement élu président de la République. Et nous faisons tous les vœux possibles pour qu’il réussisse. Mais imaginons notre consternation si le monarque républicain désigné le 7 mai par les électeurs avait été Marine Le Pen et qu’elle ait obtenu une majorité à l’Assemblée Nationale les 11 et 18 juin. Nous verrions toutes les dispositions conçues pour et par le Général de Gaulle pour éviter « l’impuissance » des gouvernements à permettre à un dirigeant dangereux pour la démocratie de s’emparer de toutes les manettes. Et pendant cinq ans nous nous interrogerions sur la possibilité de lui faire quitter légalement le pouvoir après un quinquennat certainement catastrophique.
Nous regardons avec délectation le jeune président élu prendre sa « posture présidentielle » avec la promesse implicite de redonner du lustre à la fonction après une président trop « normal ». Mais, dégageons-nous de l’événement et regardons les réalités en face. Plus de dix millions de suffrages exprimés pour Marine Le Pen c’est énorme ; c’est beaucoup trop. Une fois digérée la déception passagère du FN qui espérait encore mieux, ce parti que l’on dit « populiste » ou « d’extrême-droite » et qu’il vaudrait mieux qualifier de national-socialiste va se remettre en ordre de bataille. Oui nous avons entendu Emmanuel Macron promettre de tout faire pour que ceux qui ont voté Le Pen n’aient plus de raisons de le faire dans cinq ans. Et il faut qu’il réussisse. Mais la raison commande aussi d’imaginer ce qui peut se passer s’il ne réussit pas.
Ne nous laissons pas endormir par le mauvais débat de Marine Le Pen ou par les règlements de compte à venir au Front National. Ne sous-estimons pas l’adversaire. Les dirigeants du FN sont redoutables, intelligents, habiles et ils travaillent beaucoup pour arriver à leurs fins.
L’habileté de ce parti qui se présente comme « dé-diabolisé », parfaitement démocratique, voir défenseur des libertés, fait que beaucoup d’électeurs ne comprennent plus les ressorts du Front Républicain. Quand ils entendent les ténors de la « droite républicaine » expliquer en cœur qu’ils ont voté Macron, le message est de moins en moins clair. Il est en effet difficile à ces responsables politiques de dire clairement leur intuition que le FN n’est pas un parti démocratique et qu’une fois au pouvoir il tomberait le masque. Il leur est encore plus difficile de dire qu’ils ont peur parce qu’ils savent à quel point les pouvoirs de celui qui arrive à se faire élire président en France sont excessifs et insuffisamment équilibrés par des contre-pouvoirs et des dispositions légales. Tant que la présidence est occupée par une personne dont le « sur-moi » démocratique est important, tout va à peu près bien. Dans le cas contraire, on se rendrait compte de la faiblesse des digues.
C’est sous cet angle qu’il faut regarder le 49.3 et les relations entre l’exécutif et le législatif, les pouvoirs du Conseil constitutionnel, les processus de nomination à tous les postes sensibles de la justice, de la police et de l’armée ainsi que le fonctionnement du pouvoir dans les medias.
La démocratie français n’est pas la démocratie américaine dont la solidité a déjà été évoquée ici. Les cent jours de Donald Trump ont permis de voir certains de ces contre-pouvoirs à l’œuvre. On savait déjà qu’un président américain doit en permanence négocier avec le parlement pour arriver à appliquer sa politique. On savait moins qu’un juge courageux peut bloquer une législation xénophobe. Le limogeage d’un patron du FBI déclenche un scandale qui n’en restera pas là et le Sénat a le pouvoir de s’emparer du dossier.
Nous avons entendu le nouveau président de la République promettre dès le soir de son élection qu’il « protégerait la République ». Dans ce cadre, la sagesse commanderait de mettre à profit les cinq ans qui viennent pour mener un grand audit des contre-pouvoirs en France et imaginer ce qu’il faudrait faire quand ils manquent ou ne fonctionnent pas bien. Ce serait une mesure de précaution contre d’éventuels accidents de l’histoire. Au-delà, ce ne serait pas la plus mauvaise manière de revivifier la démocratie en nous désintoxiquant un peu collectivement de notre révérence pour le monarque républicain. N’est-ce pas au fond ce qu’exprimaient les citoyens sondés qui semblaient hésiter, juste après son élection, sur la nécessité de donner au président une majorité parlementaire absolue ? Celui-ci ne ferait-il pas mieux de prendre les devants ?
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