Le rétablissement de la « valeur travail » ne pourra être mené à bien sans que soient rapprochées, conciliées et cultivées les peurs utiles des dirigeants et les exigences compétentes des jeunes entrants dans le monde de l’entreprise.
Tel qu’il fonctionne aujourd’hui, le monde de l’entreprise sépare et souvent oppose les générations de travailleurs. D’un côté les dirigeants qui font face aux risques de la mondialisation et sont contraints au génie visionnaire pour préserver le fonctionnement de leurs groupes, départements, services. De l’autre, de jeunes entrants pour qui le travail est devenu un fragment de la vie qui doit leur apporter épanouissement personnel, ressources financières et si possible plaisir intellectuel. D’un côté une peur qui paralyse, de l’autre une exigence envahissante.
Trois questions se posent au vigilant : Comment les peurs peuvent-elles devenir utiles ? Comment les exigences peuvent-elles devenir compétentes ? Quelle solution-clé pourrait rendre ces deux attitudes conciliables et productives ?
Une peur devient utile lorsque l’on trouve les moyens de la rendre partageable. Si ce n’est pas le cas, elle reste une angoisse individuelle qui masque la difficulté et ne trouve pas de voies de solution hors de celles que peut apporter le dirigeant. Partager une peur, c’est l’intégrer à la vision que l’on a d’une situation. Stratégiquement, cela consiste à la transformer en objectif. Par exemple : la peur de voir le service public de transport en commun démantelé et privatisé devrait aboutir à la définition et au développement d’un service à valeur humaine ajoutée, que seuls les établissements publics pourraient développer étant donné l’importance, la qualification et l’exigence de leur main d’œuvre.
Une exigence devient compétente à partir du moment où ses critères sont formulés, conscients et qu’ils participent à une réussite professionnelle. Les jeunes entrants dans l’entreprise arrivent avec plus de moyens d’attendre des choses que de moyens pour réussir à les obtenir. Il manque à leurs attentes un degré de vision suffisant de ce que peut produire leur travail au sein de l’entreprise. Rendre une exigence compétente, c’est l’intégrer visiblement comme une contribution positive à la vision de l’entreprise. Stratégiquement, cela consiste à la transformer en ressource. Par exemple, l’exigence des jeunes à s’épanouir dans l’exercice quotidien de leur métier devrait aboutir à la définition et au développement de parcours professionnels qui valorisent la réussite personnelle dans le travail : comme un serveur de fast-food qui s’impliquerait dans le rôle de médiateur naturel du restaurant dans lequel il travaille au sein d’une cité difficile.
Une solution-clé (key-solution) repose dans la manière dont sont vécus les rapports d’autorité. Comme l’évoquait H. Serieyx lors de son intervention au Club des Vigilants, l’autorité d’un manager est reconnue par les jeunes à condition qu’il soit crédible sur trois points au moins : a) sa compétence professionnelle, b) sa capacité à reconnaître ceux qui travaillent avec lui, c) sa capacité à transmettre son savoir, ses inquiétudes, ses intuitions. En un mot, le manager se doit d’exceller dans l’art d’asseoir sa fonction sur un partage efficace de sa vision, des moyens et des rôles. Cela consiste à transformer l’autorité en méthode.
Il s’agirait donc de donner les moyens aux jeunes d’avoir une vision, même fragmentaire de ce que produit leur travail. Ceci leur permettant d’acquérir peu à peu la conviction et la motivation de travailler sur un projet partagé, d’obtenir au quotidien une reconnaissance suffisamment circonstanciée pour être perçue, et enfin d’accéder à sa compétence personnelle plus rapidement par un exercice moins systématique et plus systémique.
Transformer les peurs en objectifs, les exigences en ressources et l’autorité en méthode, c’est préparer le monde de l’entreprise à développer la « valeur travail » à partir de ce qu’elle doit aujourd’hui produire le plus : une valeur humaine ajoutée faite de vécus enrichis et enrichissants.
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