Prêteriez-vous de l’argent à quelqu’un dont le déficit est de 33% de son revenu annuel et la dette cinq fois ce même revenu ? Certainement pas, même à un taux usuraire.
Pourtant, de tels emprunteurs existent, le plus proche de nous étant notre Etat français: 270 Milliards € de recettes annuelles pour 370 de dépenses, une dette voisine de 1 400 Md€. Malgré cela, comme ses voisins, il trouve encore à se sur-endetter sur les marchés financiers, et à des taux d’intérêt voisins de 3% l’an, dans des opérations appelées pudiquement « placements », qui sont bel et bien des emprunts.
Cette anomalie a une seule explication : l’intervention complaisante des banques et des institutions financières. Depuis des décennies, elles ont rendu l’immense service à nos Etats de mélanger leurs obligations à d’autres actifs plus rentables mais supposés plus risqués, au sein de fonds complexes proposés aux épargnants.
Jusqu’à présent, grâce à ce mécanisme, les prêteurs ont continué à souscrire des obligations d’état ; et à des taux nettement plus bas que la « rente », ce taux de renonciation à la liquidité pour un prêteur, que les économistes classiques situent à 4% hors inflation. L’abaissement progressif, à coups de réglementations et de fiscalité, de la rentabilité de tous les autres placements à moins de 2% avant impôt a facilité les choses ; l’immobilier n’y a pas échappé : mesures environnementales, refus d’expulsions ou fiscalité locale ont définitivement dégradé ses rendements.
Cette politique délibérée visant à avantager les placements publics a, par la force des choses, incité les salles de marché des banques à aller traquer les moindres fractions de taux d’intérêt favorables à travers le monde ; suscitant des transactions d’autant plus volumineuses et dangereuses que les différentiels de taux se réduisaient. Ce faisant, nos banques ont, par témérité ou ignorance, abordé le rivage des sub-primes, dont la déconfiture a ébranlé le système.
Il est maintenant de bon ton, pour les politiques comme pour les médias, de vilipender ces fidèles serviteurs financiers, alors qu’ils ont rendu, et continuent de rendre, un signalé service à leurs Etats impécunieux. Alors, on montre du doigt les rémunérations anecdotiques de leurs « traders » ou leurs montages hasardeux de quelques fonds dits « toxiques ». Or, si toxicité il y a, elle ne vient que de cette masse énorme de dettes étatiques, que la bulle financière arrive de moins en moins à digérer et à camoufler.
Pour sortir de cette spirale du surendettement public, on ne pourra pas indéfiniment augmenter les recettes fiscales, en tout cas pas des 33% nécessaires au vu des chiffres ci-dessus. Réduire les dépenses de l’Etat ? Le fonctionnement actuel de notre système politique truffé de fonctionnaires de gauche ou de droite en est incapable.
Il faudrait de toute façon augmenter sensiblement les taux d’intérêt – réels ou fiscaux - servis aux résidents pour les inciter à souscrire les emprunts de leur pays et venir progressivement remplacer les prêteurs internationaux. Le rapatriement des intérêts redonnerait du pouvoir d’achat aux ménages français et, par la même occasion, réduirait les masses de manoeuvre des grands traders internationaux.
Lionel FLEURY
Ancien PDG de l’AFP
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