Les théories économiques évoluent en fonction des réalités et les réalités les plus prégnantes viennent des pays les plus puissants. Le fait que de plus en plus d’Américains mettent en doute les bienfaits de la mondialisation va faire réfléchir les économistes. C’est le signe précurseur d’une évolution de la pensée dominante.
En 2002, 78 % des Américains pensaient que les Etats-Unis bénéficiaient du libre-échange. En 2007, le pourcentage était de 59 % et, si l’on en juge par la tonalité des débats électoraux actuels, il est sans doute inférieur à 50 % aujourd’hui. D’où le risque d’un retour au protectionnisme et la nécessité d’un ajustement, c’est-à-dire d’un dérapage contrôlé pour éviter la sortie de route.
La mondialisation, il ne faut pas l’oublier, a sorti de la misère des centaines de millions de gens et a contribué à la croissance dans les pays développés. Le drame est que dans ces pays « riches » il y a de plus en plus de pauvres.
Les perdants ne sont plus seulement les chômeurs ni même les ouvriers de l’industrie mais tous ceux qui doivent se contenter de bas salaires parce que leur activité pourrait être externalisée. La classe moyenne toute entière est tirée vers le bas.
Améliorer la formation professionnelle et encourager financièrement la mobilité est unanimement jugé nécessaire mais de plus en plus considéré comme insuffisant. Des économistes américains se mettent à rechercher la légitimation théorique d’un protectionnisme modéré. Certains font ainsi appel à des notions voisines de celle de subsidiarité dont on se sert généralement pour justifier la répartition des responsabilités entre différents échelons institutionnels ou territoriaux.
Le principe est simple : ce qui peut être réalisé efficacement dans la proximité ne doit pas être traité au loin. Dans la pratique économique, cela peut mener à quelques conclusions.
Exemples :
- Les cultures vivrières en Afrique (et autres régions où l’afflux dans les mégalopoles a des effets désastreux) ne devraient pas être sacrifiées sur l’autel de la libération des échanges agricoles. Concrètement, cela se traduirait par une réhabilitation limitée de la technique des quotas. Il en irait de même pour certaines activités industrielles ou artisanales dont la valeur est localement appréciée dans certains pays riches.
- Quelques entreprises, considérées comme stratégiques, ne pourraient pas tomber entièrement dans des mains étrangères. Concrètement, cela signifierait l’extension de la pratique des « golden shares ».
De telles entorses au libéralisme seraient conçues comme une sauvegarde de ce que le libéralisme comporte d’essentiel. Elles se présenteraient comme un mode d’emploi pour ne pas glisser sur le funeste toboggan qui conduit du protectionnisme au nationalisme et du nationalisme à la peur des autres, c'est-à-dire au racisme et à la guerre.
Commentaires
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Je crois comme vous, cher Marc, qu'une nouvelle pensée économique est à construire. A juste titre, vous dites que "la mondialisation ... a sorti de la misère des centaines de millions de gens et a contribué à la croissance dans les pays développés. Le drame est que dans ces pays « riches » il y a de plus en plus de pauvres".
J'ajouterai, pour ma part, que les grands perdants sont les jeunes dont les aptitudes et la formation voire la motivation ne leur permettent plus de trouver leur place dans l’économie moderne et tous ceux dont la tâche peut être délocalisée et qui ne sont pas en mesure de se reconvertir. Les bas salaires dans les métiers impliquant peu de compétence informationnelle sont tirés vers le bas par la concurrence locale et internationale, tandis que la classe moyenne détentrice d’un savoir est laminée par les prélèvements visant à conserver autant que faire se peut (ou se veut) la justice sociale du passé.
Petit à petit les délocalisations ne touchent plus seulement les activités de production industrielle dont les pays les plus développés pouvaient se conserver la conception et la distribution, ou le traitement de l’information dont ils se réservaient l’utilisation finale.
La libre circulation des biens et des capitaux va de plus en plus permettre d’attaquer de plein fouet la dominance des vieux pays développés assise sur la disponibilité du capital, la maîtrise de l’information (scientifique, technique, managériale) et l’accès plus ou moins exclusif voire confiscatoire aux matières premières.
Vous assurez, dautre part, que "des économistes américains se mettent à rechercher la légitimation théorique d’un protectionnisme modéré. Certains font appel à des notions voisines de celle de subsidiarité ...".
Certes, une nouvelle théorie économique est sans doute en train d’émerger dans les pays les plus développés pour légitimer la préservation locale des secteurs jugés stratégiques ou pour internaliser des aspects sociétaux et environnementaux négligés dans une vision réductrice du capitalisme.
La généralisation de la technique des quotas ou de la mise en œuvre de « golden shares » pourraient ainsi trouver a posteriori une justification théorique.
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Deux apports, cher Marc, concernant votre article intitulé "vers une nouvelle pensée économique":
- La légitimation théorique du principe que ce qui peut-être réalisé efficacement dans la proximité ne doit pas être traité au loin passe par l'intégration dans les prix de revient des produits et services du coût réel du transport, c'est à dire le cout de la dépollution correspondante ; gardons à l'esprit que la mondialisation a été rendue possible en partie par le faible niveau des couts logistiques qui n'intégrent aucun cout environnemental.
- En France, les entreprises considérées comme stratégiques par leur savoir-faire ou leur technologie font depuis plusieurs années l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics ; c'est ce qu'on appelle "l'intelligence économique".
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Nouvelle pensée économique
Le projet de construire une nouvelle pensée économique est en effet, dans le monde actuel, non seulement un beau projet mais un projet vital.
Si tu utilisons le terme d'économie de manière véhiculaire, nous n'avons plus toujours très présent la réalité de son sens actuel et … génétique. Le petit Larousse nous rappelle que ce mot (si galvaudé ) vient du grec (encore) Oïkonomia, qui voulait dire l'administration de la maison. Le discours populaire lui a donné un sens plus précis mais restrictif en parlant de "l'art de réduire les dépenses, dans la gestion de ses biens et de ses revenus". L'accent est donc mis, dès le départ, sur la maîtrise des coûts et des dépenses, sans autre finalité …
Un autre point de vue plus large montre qu'il s'agit, en fait, de "l'ensemble des activités d'une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses ".
Ce qui est frappant dans cette simple analyse c'est que ce terme est lié à des concepts fondamentalement locaux et non globaux, tels que "la maison" (oui mais de laquelle ?), "ses biens et ses revenus " (oui mais ceux de qui ?), ou encore "collectivité humaine" (oui mais de laquelle ?).
La mondialisation a pratiqué ce qu'on appelle une "extrapolation" sans se soucier de savoir si le concept continuait à garder le même sens !
De là viennent ces situations qui pour les uns sont appelées des "opportunités" et pour les autres des "menaces".
Cela dépend du "potentiel de situation" vu de la fenêtre de chacun…
Pour progresser sur ce sujet, je ne vois pas beaucoup d'autre voie que celle de proposer une nouvelle définition pour le terme "économie".
La définition ancienne met en relation 3 activités fondamentales nécessaires : production, distribution, consommation. Ces 3 activités sont interdépendantes, car comment parler de l'activité de consommation (sauf dans une logique d'héritage et donc de richesses accumulées) sans lui associer les deux autres activités de production et de distribution ?
Cela n'a pas de sens si on a une vue systémique du monde.
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