Le devenir du « camp » de Grande-Synthe mérite toute notre attention. Il ouvre le débat sur ce que pourraient être des bidonvilles/camps du XXIème siècle en France. Un débat que notre pays et ses autorités ne devraient pas refuser. Rappel des faits. C’est un des énièmes épisodes du drame des migrants de Calais. Grande-Synthe est une commune située entre Dunkerque et Calais. Son maire a autorisé Médecins Sans Frontières à y construire un « camp » de baraques en bois très rudimentaires offrant notamment l’eau et des sanitaires à ceux qui viennent y chercher refuge. C’est à dire un répit, une situation bien meilleure que celle dans laquelle ils étaient.
Lors de son inauguration, le 7 mars, ses promoteurs ont eu soin d’employer à de multiples reprises le mot « normes » qui est devenu en France comme en Europe le sacrement que l’on sait. Mes confrères journalistes ont répété avec application : « camp aux normes internationales ». Rien n’y a fait. L’Etat, représenté par le préfet, menace le camp de fermeture et cherche à intimider le maire, au nom des normes et de la sécurité bien évidemment. On ne peut que dénoncer, avec les associations qui cherchent à améliorer un peu le sort des migrants, « le cynisme hors norme de l’Etat » qui, par ailleurs, ferme les yeux sur conditions de vie réelles de cette population. Mais le débat va plus loin. Dans un pays qui a du mal à gérer ses sans-abri – migrants ou pas- est-ce qu’il ne faut pas tolérer et inventer ce que pourraient être de nouveaux camps/bidonvilles du XXIème siècle? L’hésitation entre les deux termes n’est pas anodine. Le « camp » évoque toujours une forme d’autorité, voire d’enfermement. Un bidonville est un espace plus anarchique donc plus libre. Il ne nous appartient pas de tracer des plans précis. Mais on voit bien qu’il s’agirait- en gros- de tolérer des regroupements de constructions rudimentaires à proximité des villes en offrant à leurs habitants des conditions d’hygiène et de confort minimales : eau, sanitaires, électricité ? « Tolérer », c’est à dire prendre le risque de ne pas interdire, tenter de canaliser les excès. Exactement ce que l’Etat ne sait pas ou ne sait plus faire. Avant de pousser de hauts cris, pensons à tous ceux qui sont de fait à la rue, menacés d’y être, ou trimballés d’hôtel garni en hôtel garni aux frais d’un Etat en semi faillite. Avant de pousser de hauts cris, considérons que nous parlons d’un pays où la disparition, peut-être durable, de la croissance, exige de s’interroger sur toutes les formes d’adaptation à la réalité du manque de moyens. Plutôt que de pousser de hauts cris lisons les urbanistes qui cherchent à comprendre la rationalité des bidonvilles ( passionnant article de Paul Molga sur « le Bidonville, avenir de l’urbanisme » dans Les Echos du 5 janvier 2016). Interrogeons notre propre histoire, pas si ancienne, celle du grand bidonville de Nanterre, celle des camps de baraques dans lesquels une partie de la population de Brest ou de Lorient a attendu très longtemps la fin de la reconstruction. Interrogeons aussi l’histoire des autres. Nul mieux sans doute que John Steinbeck dans Les raisins de la colère n’a décrit l’Eden que pouvait représenter pour les migrants de la grande dépression un camp avec des sanitaires. Interrogeons notre expérience de l’accueil des « gens du voyage ». Interrogeons enfin l’expérience des grandes villes du monde où des centaines de millions de personnes vivent aujourd’hui dans des bidonvilles. Sommes-nous certains qu’elles y soient plus malheureuses que des sans-abri en France ? Qu’en pensez-vous ? N’attendons pas que l’Etat progresse sur le sujet. C’est le rôle de la société civile, de ses think tanks, clubs de réflexion et associations d’avancer sur ces sujets hors normes. Jean-Claude Hazera
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