Une majorité de Français a voté non au référendum sur le Traité constitutionnel européen. Une minorité de jeunes s’est révoltée dans les banlieues. Pour beaucoup d’observateurs de tels événements traduisent le décalage qui s’est installé entre le pays et ses institutions, entre le pays et les élites politiques. Les travaux de Sociovision Cofremca montrent que la problématique est internationale et qu’elle ne relève plus de la thématique du décalage. Les citoyens ne sont pas plus en décalage par rapport aux institutions que les consommateurs par rapport aux marques ou que les salariés par rapport à leur entreprise.
En réalité, les Français ne sont pas en décalage par rapport au monde politique, ils sont ailleurs, dans une autre société. Les consommateurs ne sont pas en décalage avec les marques, ils sont sur une autre planète de la consommation qui échappe aux marques. Les salariés ne sont pas en décalage avec leur entreprise, ils réinventent dans le tissu microsocial de l’entreprise un autre rapport au lien social qui échappe aux dirigeants.
Les Français ne sont pas en repli, bloqués sur des positions conservatoires, ils sont en re-programmation et réinventent une vie quotidienne qui prend à revers les décideurs politiques, les décideurs d’entreprises et les représentants des institutions intermédiaires. L’analyse de la relation que les Français entretiennent avec l’Europe est assez illustrative de la fragmentation des attitudes et de la difficulté à rassembler une nation sur un projet commun. Elle est également un excellent exemple de l’inadéquation des méthodes de pilotage de l’action publique face à une société plus complexe et plus diverse.
Les décideurs, quels qu’ils soient et, plus généralement le management, continuent à appliquer des méthodes d’hier à une société spontanée qui s’est profondément transformée. A coup de sondages d’opinions (qui ratent le réel et flattent les décideurs) pour les uns, de CRM (Customer Relation Management) ou d’ERP (Entreprise Ressource Planning) pour les autres, ils ont perdu le contact avec la société, ils sont dans une stratosphère dont les paradigmes dominants relèvent de la société d’hier. Ils s’accrochent à des données quantitatives et abstraites là où il faudrait sentir et toucher les choses pour avoir une chance de les comprendre un peu et d’agir mieux. Ils rêvent à des systèmes d’informations aussi simplificateurs qu’illusoires dans leurs résultats. Ils sont encore dans le paradigme mécanique où il s’agit d’appuyer sur un bouton pour que l’action soit efficace. Ils n’ont pas tiré les conséquences opérationnelles d’une société de gens autonomes, d’une société où la diversité s’accroît, du saut de complexité considérable que l’autodétermination des personnes et la mondialisation des échanges ont engendré.
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