Dans son numéro 36 (octobre 2005), Vigilances rendait compte des peines qui avaient été infligées aux Etats-Unis aux tortionnaires d’Abou Ghraib. La graduation, selon nous, s’expliquait par le fait que les cas relevaient en gros de trois catégories distinctes :
-Il y avait des tortures effectuées dans le but d’extorquer le plus vite possible des aveux ou des renseignements.
-Il y avait des humiliations destinées à mettre les prisonniers dans un état de moindre résistance mentale avant les interrogatoires.
-Il y avait aussi des humiliations d’un genre mi porno, mi ludique, évoquant une mise en scène.
« Ce dernier cas, précisions-nous, est apparu clairement dans le procès de la soldate Lynndie England qui souriait en traînant en laisse un prisonnier dénudé. Elle aurait agi à l’instigation d’un de ses camarades et a été d’abord ravie de la photo où elle fait figure de vedette et où l’Irakien humilié tient (involontairement) le rôle du figurant soumis ». C’est cette violence spectacle que l’on retrouve lorsqu’à Nice, Porcheville, Orléans et ailleurs, des viols ou autres agressions font l’objet de photos ou de films sur téléphones portables que l’on est fier de montrer aux copains.
Comme toujours, l’art a été prémonitoire. Le « happening » était un art nouveau. On créait un « évènement » ; l’évènement était filmé et les cassettes se vendaient. Maintenant, il ne s’agit même plus de cela mais le principe est le même puisque l’on se passe d’un tableau ou d’une sculpture qui avaient au moins le mérite d’établir une médiation entre le contemplateur et la réalité. L’instantané apparaît tout cru, prêt à être avalé. Les freins de la symbolique cessent de fonctionner. Les frontières entre torture et spectacle deviennent élastiques … comme à Abou Ghraib.
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