L’amplification du conflit, visible depuis des semaines, s’aggrave encore. Les civils sont désormais la cible, victimes d’une campagne de terreur qui mêle déportations et destructions des installations vitales avec des moyens indiscriminés et sommaires (les drones iraniens font à peine mieux que l’armée syrienne larguant des barils de poudre depuis des hélicoptères). Au menu des prochaines épisodes, peut-être l’entrée en scène de la Biélorussie et toujours ces questions sur l’arme nucléaire tactique dont la valeur pour Poutine est une fonction croissante de l’échec opérationnel de ses armées. En réponse préventive, les Occidentaux annoncent l’anéantissement, par des moyens conventionnels, du corps expéditionnaire entré en Ukraine et de la flotte russe de la mer Noire. C’est le message que les militaires américains ont passé à leurs homologues russes et l’on fait un mauvais procès à Macron d’avoir dévoyé la crédibilité nucléaire française alors que, semble-t-il, il envisageait cette perspective.
Plus problématique est de voir la France camper sur une position proche de la neutralité en s’accrochant à une négociation dont personne ne veut et dont le bénéficiaire ne peut être que Poutine puisque, par construction, une partie de ses revendications se verraient satisfaites et sa stratégie d’agression validée (toute négociation vise à trouver un « équilibre »). Sans compter que rien ne l’empêcherait de reprendre des forces pour poursuivre plus tard ses objectifs initiaux. Un tel positionnement est illisible pour nos partenaires européens et conduira à une marginalisation beaucoup plus forte que lors des précédents épisodes[1] pour la simple raison que cette fois la guerre est à nos portes. Imaginons un instant que l’on nous demande de négocier avec un Etat qui aurait envahi et annexé violemment un cinquième du territoire français, qui multiplierait les exactions et dont l’objectif affiché serait de faire de la France un Etat croupion et vassalisé !
On peut spéculer à l’infini sur les raisons ce positionnement. S’y mêlent probablement l’orgueil d’un président de ne pas se déjuger, l’inertie d’une pensée diplomatique toujours mue par un anti-américanisme qui, mécaniquement, donne à la Russie la valeur du contrepoids et un reste nostalgique du concert européen qui voulait que l’on soit courtois entre « grandes puissances » et que tout règlement se fasse au détriment des « petits ».
Il y a un comportement invétéré des dirigeants français dans le refus de voir que la puissance militaire et stratégique américaine est écrasante. Elle est le fruit de décennies d’efforts. Elle seule est capable de fédérer le besoin de sécurité des Européens face aux périls. Dénoncer la solution de bouclier anti-missiles américano-israélienne (nb. Israël consacre 15% de sa richesse nationale à la défense) proposée par le chancelier allemand pour cause de « risque de course aux armements » est proche de la tartufferie. Nos partenaires européens recevrons toute contre-proposition française avec un double scepticisme : celui inspiré par des capacités techniques sans doute excellentes mais qui peinent à passer à l’échelle et celui inspiré par les ambiguïtés françaises. L’indépendance stratégique de l’Europe est une noble aspiration et l’occasion de projets ambitieux mais quand on en vient, comme aujourd’hui, au paiement des traites à long terme comme disait Clausewitz (c’est-à-dire que les hostilités sont engagées), c’est un ersatz de solution.
Macron n’a pas conduit l’aggiornamento de la pensée stratégique française qui consisterait à prendre une place plus humble mais aussi plus dynamique et agile au sein de l’Alliance Atlantique. Il est vrai que la présidence Trump s’y prêtait peu, sans doute aussi est-il romantique quant à la sensibilité européenne face au tragique de l’histoire qu’il se plaît à évoquer. Ce repositionnement viendra, qu’on le veuille ou non. Ce sera un sous-produit de la guerre en Ukraine.
Une fois critiquée la position française, quelle peut être l’issue ? Personne ne veut faire la guerre à la Russie : grand peuple, grand pays et potentiellement grand partenaire. Et personne n’a clairement définit les buts de guerre qui constitueraient la feuille de route occidentale. Ce qu’on entrevoit malgré tout et qu’il faut exposer au grand jour pour préparer les opinions est de battre un régime qui désormais nous menace directement et sans aucune retenue, selon les principes bien établis de la guerre hybride, et qui s’est fixé comme objectif de détruire l’ordre international fondé sur la règle de droit dont nous, avec d’autres, avons la responsabilité. L’Ukraine est la ligne de front mais la confrontation est beaucoup plus vaste. La Russie mène une guerre idéologique contre nous. Comme toute guerre idéologique, elle n’a pas de limite et menace de tout emporter. Il n’y aura pas de paix durable si la matrice poutinienne n’est pas détruite (révisionnisme, impérialisme, agressivité, hostilité fondamentale à l’Occident).
Poutine a porté de duel des volontés (Clausewitz) sur le champ de bataille, c’est sa responsabilité. La seule réponse possible est désormais une défaite sans appel de son armée sur le théâtre ukrainien. C’est là qu’on attend l’esprit de résistance qui parfois fait la gloire de la France.
[1] Par exemple le projet français de Confédération européenne, à la fin de la guerre froide, qui visait à copiloter la sécurité européenne avec la Russie, sans les Etats-Unis invités à se retirer du continent.
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