« L’Etat russe, comme l’Etat soviétique avant lui, n’est au fond qu’une gigantesque armée qui s’appuie sur une gigantesque police et sur un appareil de propagande tentaculaire. En face de cet état-garnison rassemblé autour de son chef se trouve une Europe minée de l’intérieur, démoralisée, divisée, affaiblie par la crise, handicapée par la relative médiocrité de sa classe politique, inconsciente même du danger dans lequel elle se trouve». Cette phrase est de l’historienne François Thom qui ne cesse d’alerter les Européens sur ce que sont, à son avis, les véritables desseins de la Russie de Vladimir Poutine. Nous n’avions pas pu relater les propos qu’elle avait tenu le 31 mars au cours d’une Matinale des Vigilants car elle avait souhaité qu’ils restent « off ». La parution d’un grand article qu’elle signe dans Politique internationale (n°147 "La guerre cachée du Kremlin contre l'Europe") nous donne l’occasion d’en reparler. On y retrouve une partie des idées exprimées devant le Club.
L’historienne fait remonter à Boris Eltsine les débuts de la résurgence d’une politique «néo-soviétique» que nous ne savons pas lire comme telle. Nous avons tort de penser, nous dit-elle, que la Russie demande seulement qu’on respecte ses intérêts nationaux. Cette politique impériale vise non seulement les anciens pays vassaux de l’Europe de l’Est, mais aussi l’Europe de l’Ouest. Pour le moment, ses résultats sont surtout visibles en Ukraine, mais aussi en Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Serbie, Grèce et Chypre. Poutine a commencé par s’assurer du soutien de son opinion interne, notamment à l’occasion de la guerre de Tchétchénie et des attentats en Russie. La pièce maitresse du dispositif de contrôle de l’opinion est la chaine de télévision Russia Today qui disposait en 2014, nous dit Françoise Thom, d’un budget de 445 millions de dollars. Parallèlement le Kremlin aurait dépensé des sommes considérables pour sa propagande à l’étranger. Toutes les idées sont bonnes, pour peu qu’elles servent les intérêts russes. C’est ainsi que la Russie se pose par exemple en rempart des valeurs traditionnelles, notamment chrétiennes. Françoise Thom parle même d’un nouveau Kominterm "rassemblant au service du Kremlin les partis d’extrême droite et d’extrême gauche, la droite chrétienne traditionnelle, les «antiglobalistes » de toutes espèces, les « souverainistes », les europhobes, les adversaires de la « finance internationale », des irrédentistes encore fort actifs dans certains pays d’Europe centrale et orientale, etc.". Elle fait partie des observateurs qui considèrent comme importants et significatifs les voyages de Jean-Marie Le Pen en Russie et le prêt d’une banque russe au Front National de Marine Le Pen. La Russie cherche systématiquement, nous dit Françoise Thom, à contourner les institutions plurinationales et notamment l’Union Européenne pour gérer en bilatéral ses relations avec les pays membres. Dans chaque pays elle cherche à créer un « parti russe » dont les intérêts lui sont liés. Le gaz naturel russe qui approvisionne une partie de l’Europe est une arme essentielle de cette politique. Cette arme ayant néanmoins ses limites, la Russie s’est relancée dans une politique de réarmement et de démonstration de force militaire depuis 2007. De 2011 à 2014 les dépenses militaires ont augmenté de 20% par an pour atteindre 100 milliards de dollars (à titre indicatif le budget militaire de la France est de 42 milliards).
L’article de Françoise Thom, dont nous ne rapportons ici que les grandes lignes, est évidemment beaucoup plus riche et… fait froid dans le dos.
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